Recommencer ? Manifestation pour le vivant, ou comment réfléchir au recommencement d’un monde viable
La directrice déléguée de la Comédie de Caen [...]
Focus -336-La Comédie de Caen : élan du vivant et joie politique
Un cauchemar joyeux, un cabaret queer, un vaudeville foutraque : Aurore Fattier inaugure la nouvelle saison caennaise avec un Dindon truffé d’éclats de rire insolents et iconoclastes.
Pourquoi Feydeau ?
Aurore Fattier : J’ai une grande passion pour cet auteur, dont j’ai déjà monté La Puce à l’oreille et On purge bébé. Feydeau est souvent traité de manière ringarde, réactionnaire, misogyne, alors que son œuvre fourmille de problématiques très contemporaines autour de la sexualité, la puissance de l’inconscient, les rapports entre les hommes et les femmes, entre le fantasme et la réalité. Le Dindon est une pièce qui parle éminemment de sexualité ! Lucienne, une femme rangée entourée d’hommes qui la courtisent, s’est donné comme mot d’ordre de ne tromper son mari que si lui-même la trompe : elle prend comme prétexte de le croire infidèle pour passer à l’acte. La pièce commence avec une scène de harcèlement de rue on ne peut plus contemporaine ! Pontagnac, dragueur invétéré, met tout en œuvre pour obtenir les faveurs de Lucienne, mais il finit en dindon de la farce ! Feydeau explore tous les registres comiques : la farce, l’excès, le comique de mots, le comique de situation…
Qu’en faites-vous ?
A.F. : J’aime bien pousser les situations à l’extrême, ce à quoi je m’emploie avec joie, en assemblant une troupe de dix comédiens venus du cabaret, du théâtre de rue, du théâtre de texte : une faune hétéroclite et travestie, follement drôle, pour un éloge du travestissement, du jeu, du rire, de la fantaisie et de l’autodérision. Feydeau est souvent doublement maltraité : soit on l’intellectualise et on enlève le corps, soit on en fait une satire bourgeoise et une comédie sociale où les corps sont stéréotypés et hétéronormés. Je préfère la provocation douce du rire et de la joie, qui parie sur le plaisir plutôt que sur l’agressivité. Ma lecture est politique, puisque je choisis une représentation des corps et de la sexualité très libre, mais la pièce reste une comédie, que je veux occasion de rassemblement et de fête avec le public.
Telle est votre ligne à la Comédie de Caen…
A.F. : Nous essayons de casser les barrières entre les disciplines, d’inviter l’écologie dans le théâtre, la jeunesse, la participation, le partage, avec cette idée assez simple : pour pouvoir transmettre des idées, il faut que les gens se sentent invités et non pris en otage. Il faut faire communauté pour provoquer la réflexion, et pour cela, il faut des projets joyeux. Voilà pourquoi j’ai envie de faire le pari de la comédie, de la parodie, de l’irrévérence, sans considérer que les sujets sérieux doivent être envisagés uniquement de façon sérieuse. Tout un pan de notre programmation aborde les sujets de manière frontale, dans une perspective documentaire plutôt que fictionnelle, mais je veux aussi que les gens viennent pour rire en réfléchissant et en acceptant d’être un peu bousculés.
Comment se passe votre installation depuis un an ?
A.F. : J’ai été nommée en janvier 2024, après vingt ans passés à Bruxelles. Tout se passe très bien, autant avec les tutelles qu’avec le public, très ouvert, qui a répondu présent. Nous inaugurons notre première saison complète en mettant en avant la création, notamment celle de nos artistes associés : Jérôme Bel, Adama Diop, Céline Ohrel, Julie Duclos, Chloé Latour et Stephan Zimmerli. Entre Recommencer, temps fort sur le vivant, un volet féminin avec des créatrices qui s’emparent des grands textes, tout un volet pour la jeunesse, des enfants aux adolescents, nous voulons créer une dynamique pour résister à la morosité ambiante, en faisant du plaisir un acte politique.
Catherine Robert
à 20h sauf le samedi à 18h.
Tournée : les 15 et 16 octobre au Volcan, scène nationale du Havre ; du 19 au 30 novembre au TGP, à Saint-Denis ; du 13 au 15 janvier au CDN d’Orléans / Centre-Val de Loire ; du 20 au 24 à la Friche Belle de Mai, à Marseille ; les 28 et 29 janvier à la Comédie de Valence ; du 24 au 26 mars à la Comédie de Reims ; du 08 au 11 avril au Théâtre de Liège ; du 15 au 18 avril au Théâtre de Namur.
La directrice déléguée de la Comédie de Caen [...]