Et pourquoi moi je dois parler comme toi, d’après des textes d’art brut, mise en scène Alain Françon

Elle est l’une de nos plus grandes comédiennes. L’une des plus sensibles et des plus singulières. Une interprète profondément ancrée dans la vérité, comme l’étaient les artistes d’art brut dont elle investit l’écriture, aux côtés du musicien Nicolas Repac, dans Et pourquoi moi je dois parler comme toi. Défini par le peintre Jean Dubuffet, dans les années 1940, comme un ensemble d’objets (picturaux, plastiques, littéraires…) dont les autrices et auteurs n’ont ni l’intention ni la conscience de produire des œuvres d’art, l’art brut a longtemps été uniquement envisagé à l’aune de la folie et de la marginalité. C’est cette vision courte, réductrice, qu’Anouk Grinberg a voulu contrarier en éclairant la valeur et la beauté de textes qui, comme elle l’explique, révèlent « l’art à la racine de l’art ».

Faire de l’art sans le savoir

« Je rêvais que ces textes bruts sortent du ghetto du pathologique et entrent dans le domaine de la littérature », déclare-t-elle. Ces lettres, ces poèmes, ces supplications (réunis dans un ouvrage publié aux éditions Le Passeur) relèvent, pour la comédienne, « du pur jaillissement ». Ils obéissent « à la nécessité impérieuse de dire ce qui est. » Dans un dialogue permanent avec la musique créée par Nicolas Repac, nourri par le regard chorégraphique de Caroline Marcadé, le spectacle mis en scène par Alain Françon s’enracine, bien sûr, dans le poétique, mais revêt également une dimension politique. Car il cherche, sans donner de leçon, à faire de la place à des femmes et des hommes qui n’en ont pas. Des écrivaines et des écrivains qui, comme le fait remarquer Anouk Grinberg, ont été des « artistes sans le savoir, sans le vouloir ».

Manuel Piolat Soleymat