Chez les Ufs
Par le biais d’un florilège de textes dont il [...]
La comédienne Ludmila Mikaël porte avec intensité et subtilité la partition de l’auteur norvégien Jon Fosse.
Un rire s’envole, virevolte par éclats, soudain se brise. La femme laisse échapper l’ombre d’un cri. Son regard se déchire. Elle sourit. « Il va venir. » dit-elle. « Il va sûrement venir. ». Et puis non. « Il ne reviendra plus jamais…. Il a disparu comme dans la mort. ». Elle est seule, enfermée dans l’attente, cernée par le silence des objets. Alors elle emplit le vide immense de l’absence avec des mots, qui se cherchent, s’enfuient, s’opposent, qui tournoient au revers du conscient, n’en finissent pas de tourner, n’en finissent jamais. Tantôt elle semble s’égarer dans les méandres d’un monologue intérieur ou le scintillement d’un souvenir, tantôt se reprendre et se raisonner, revenir à la surface de l’instant. Et puis l’homme tant aimé surgit. Il est là… il attend une autre femme, jeune. Ou bien n’est-ce qu’un rêve ? Car le théâtre de Jon Fosse toujours se dérobe à l’étreinte du présent, laisse sourdre le trouble d’une insondable béance. Il s’écrit à l’orée du réel, dans une fêlure du temps, ou dans l’entre-deux du langage. Le dramaturge, poète et romancier norvégien floute les lisières du tangible, fait affleurer l’invisible dans le suspens de la parole et tisse ses motifs dans la trame même de l’écriture, simple et pourtant complexe, tant elle s’enroule en spirales et variations.
L’attente comme horizon
Dans cette pièce écrite en 1994, sa première, il trace l’esquisse de son art. Résonnent déjà la quête de l’amour, la finitude et le néant existentiel, le retour des morts, l’enchevêtrement du songe et du passé. L’increvable attente et le recommencement. « Mais la vie n’est qu’une attente n’est-ce pas / Les gens sont assis dans leurs chambres / ils sont assis dans leurs maisons / dans leurs chambres / ils sont assis là et ils attendent / au milieu de leurs objets / dans la confiance que donnent les objets. » dit la femme. Ludmila Mikaël en révèle, avec intensité et subtilité, les tumultes intérieurs et la détresse éperdue. Elle a des élans, cassés de langueurs soudaines, qui laissent entrevoir le gouffre et qui bouleversent. Face à elle, Patrick Catalifo et Agathe Dronne jouent en contrepoint. Sans doute la mise en scène de Marc Paquien, discrète, aurait-elle pu donner plus de nuances rythmiques à cette partition toute musicale, plus d’épaisseur à l’énigme, plus de finesse dans l’esthétique. On se laisse cependant happer par la mélodie qui continue, longtemps, de murmurer son entêtant refrain au creux du cœur.
Gwénola David