La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Cœur ardent

Cœur ardent - Critique sortie Théâtre
Une scénographie truffée de gags

Publié le 10 février 2009

Christophe Rauck s’empare de la truculente et terrible comédie d’Ostrovski mais l’enveloppe dans une mise en scène parfois trop démonstrative.

Il y a quelque chose de pourri dans la maison Kouroslépov… Les roubles et le vin s’évaporent étrangement à grandes lampées. Le soir titube à peine que le ciel menace déjà de rompre net sous la fureur alcoolisée du maître, riche marchand confit dans l’ignorance avaricieuse et l’oisiveté brutale. Tandis qu’il houspille à tout va et réclame un coupable, sa marâtre met leur fille aux fers d’une jalouse surveillance. Ici, le temps mastique la couenne de l’ennui, les hommes s’enivrent ou conspirent quelques bons coups de la fortune. Quant aux femmes, braillardes mal aimées, elles n’ont qu’à se taire et servir. Tant et si bien que la jeunette idéaliste, harnachée à son romantisme intransigeant, quitte en douce le toit paternel pour suivre de loin son amoureux désargenté, expédié à l’armée. Après bien des péripéties, quelques brigandages et détours au cœur d’étranges maisons carnavalesques, elle finira par revenir au bercail et marier ses désirs selon ses lois : à l’innocent qui sait l’aimer. Entre temps, l’expérience du monde aura déniaisé ses yeux et blessé ses illusions, mais montré la réalité de ce petit microcosme russe provincial, où corruption généralisée, ambitions sournoises, cupidité et despotisme aveugle piétinent sans vergogne l’honneur, la bonté et l’amour.
 
Un monde sans pitié aucune
« J’aime terriblement les instincts. Seuls les instincts provoquent des gestes artistiques et expressifs », écrivait Ostrovski (1823-1886) dans ses Carnets. ! Même dans l’insurrection de la jeunesse. « Traduire la langue de Coeur ardent, c’est traduire une langue à la fois cassée, d’une énergie terrible dans sa violence et constamment inventive dans son désastre », remarque André Markovicz, qui signe une traduction goûteuse et crue. Christophe Rauck peine pourtant à trouver le ton de cette satire aiguë et s’encombre d’une esthétique hésitante, qui tantôt dénude trop le plateau, tantôt accuse le grotesque à coups de gags et appuie le sens par un jeu démonstratif. Si certaines scènes fonctionnent, manque un souffle qui porterait cette terrible comédie. Manque aussi l’unisson d’une troupe. Certaines personnalités se démarquent, tels Thomas Blanchard qui donne une naïve poésie au commis Gavrilo, le pauvre amoureux éperdu, ou Hélène Schwaller, en virago pétroleuse. D’autres sont tout bonnement inaudibles. Né à Moscou dans un quartier de marchands, l’écrivain russe taille à la serpe ce Coeur ardent (1869) dans le quotidien d’une société asservie à l’argent. La plume acérée, trempée à l’eau vive des parlers populaires, il croque ses personnages dans leur truculente médiocrité et leur violence ordinaire. Quelle noirceur
Gwénola David


Cœur ardent, d’Alexandre Ostrovski, traduction d’André Markovicz, mise en scène de Christophe Rauck, jusqu’au 15 février 2009, à 20h, sauf samedi à 19h, relâche lundi, au Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, 93207 Saint-Denis. Rens. 01 48 13 70 00 et www.theatregerardphilipe.com.  Durée : 3h15. Texte publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.

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