« Cloche », OVNI de Rémi Luchez, surprenant, décalé, et tout à fait enthousiasmant.

Cloche est fait de deux univers, ce que traduit la scénographie. À jardin, un tapis bariolé accueille le trio et ses instruments, c’est l’espace de la musique, du présent, d’une forme de vie joyeuse. Tout le reste du plateau est blanc : sol, murs texturé comme des remparts de neige, c’est l’espace de l’ailleurs, de l’étrange, du visuel. Ce second monde est celui de Rémi Luchez, du moins de son personnage, un être solitaire et désœuvré, vêtu d’un survêtement blanc et coiffé d’une toque de fourrure, dont on ne sait trop comment il a atterri là ni à quoi il s’occupe. En tous cas, l’univers de ce personnage est magique : il apparaît sur scène comme sortant de nulle part, s’y confronte à des objets qui bougent de leur propre chef, défie les lois de la gravité comme pour tromper le temps qui passe, le tout avec une impressionnante nonchalance.

La juxtaposition jouissive d’univers totalement décalés

Les deux univers qui se dessinent ainsi sont parfois mystérieusement connectés par un objet qui réussit à passer de l’un à l’autre, ou par un air de musique qui est enfin entendu par ce personnage lunaire qui se permet alors un pas de danse. Le reste du temps, le décalage produit tantôt un effet cocasse et tantôt un effet d’irréel qui laisse planer une poésie douce et un peu folle sur la proposition. Rémi Luchez tient parfaitement ce personnage étrange, un peu clown muet voire beckettien, un peu magicien qui n’a pas conscience de ses pouvoirs. Le trio musical, en face, est absolument épatant : naviguant entre reprises brillamment arrangées et compositions, ses goûts éclectiques sont à la hauteur de sa capacité à se glisser avec bonne humeur et énergie dans tous les registres. Le résultat est surprenant, mais possède un charme irrésistible.

Mathieu Dochtermann