La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Reprise du très réussi «L’Avare» de Clément Poirée avec une très belle équipe de comédiens

Reprise du très réussi  «L’Avare» de Clément Poirée avec une très belle équipe de comédiens - Critique sortie Théâtre Théâtre de la Tempête
L’Avare de Molière au Théâtre de La Tempête © Fanchon Bibille

Reprise / Théâtre de la Tempête / Texte de Molière / Mise en scène de Clément Poirée

Publié le 24 octobre 2025 - N° 337

Avec John Arnold dans le rôle-titre et une troupe joliment engagée, Clément Poirée met en scène L’Avare, en collaboration avec le public. Une joyeuse et économe célébration du théâtre, à la fois construction artisanale et aventure collective.

Lorsqu’on entre dans la salle du chaleureux Théâtre de La Tempête, nourri d’effervescence artistique et de beaux héritages, on est accueilli par l’un des comédiens qui collecte ce que l’on a emporté et le range dans diverses caisses posées à l’avant du plateau. Prévenus en amont, nombre de spectateurs ont en effet apporté une multitude de choses – vêtements, bibelots, etc. -, des dons qui seront ensuite triés et redistribués via la ressourcerie solidaire de la Petite Rockette. Éloge de l’économie circulaire, chasse au gaspillage : l’aversion aux grandiloquents rubans et la frugalité prônées par l’avaricieux Harpagon trouvent ici un écho qui résonne avec l’époque ! Soulignons aussi qu’au-delà de cette mise en commun qui célèbre joyeusement et sans se prendre au sérieux la valeur du partage et de l’économie, le vrai gagnant de l’histoire, c’est le théâtre. La représentation s’attache à rendre visible sa construction artisanale, collective, accueillant sur le plateau non seulement les comédiens mais aussi divers collaborateurs artistiques (son, costumes, accessoires, maquillage…), affairés devant des étagères métalliques qui ne cachent rien : avec sa capacité ingénieuse à jouir du jeu qu’il fabrique, véritable antithèse de toute radinerie, le théâtre fait entendre la langue de Molière dans son tranchant et sa vitalité.

Jouissance du théâtre vs jouissance de la possession

Si L’Avare, créé sur la scène du Théâtre du Palais-Royal le 9 septembre 1668, est l’une des pièces de Molière les plus jouées, c’est bien parce qu’Harpagon est un extraordinaire personnage, aussi cruel que farcesque, aussi maladroit que tyrannique, tout entier attaché à sa chère cassette au détriment de sa progéniture et de toute la maisonnée. John Arnold l’incarne à merveille, sur une ligne de crête où la cruelle dureté et la volonté de domination du barbon solitaire sont tempérées par une forme d’inadaptation comique au monde. En toute logique, les enfants Cléante, dont la jeune et belle amante Marianne est convoitée par son propre père, et Élise, éprise de Valère, n’ont d’autres recours que le mensonge ou la fuite (un heureux et improbable dénouement évitera tout drame). Le quatuor des amoureux est interprété avec une piquante vivacité par  Mathilde Auneveux  en alternance avec Liora Jaccottet (Élise), Nelson-Rafaell Madel en alternance avec Pierre Lefebvre-Adrien (Valère), Pascal Cesari en alternance avec Anthony Ruotte (Cléante) et Marie Razafindrakoto (Marianne). Anne-Élodie Sorlin (une Frosine pleine d’énergie), Laurent Menoret (un épatant Maître Jacques) et Virgil Leclaire (La Flèche) complètent la distribution.  Astre noir qui petit à petit perd son rôle central, seul Harpagon est habillé en tenue d’époque, dès le début de la représentation, tandis que les autres comédiens se présentent en tenue minimaliste, avant de revêtir ce qui ce soir-là est possible. Ce théâtre pauvre assume sa dimension audacieuse de recherche précaire, posant en filigrane la question du coût et de la possibilité de l’art face à l’urgence écologique et autres crises. Alors que certaines mises en scène de L’Avare ont pu accentuer et parfois actualiser la violence des situations et la cruauté d’Harpagon, ici sur fond de décroissance prime une vitalité malgré tout joyeuse et désirante.

Agnès Santi

 

A propos de l'événement

L'Avare
du samedi 1 novembre 2025 au dimanche 23 novembre 2025
Théâtre de la Tempête
Théâtre de la Tempête, route du champ de manœuvre, 75012 Paris

du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Tel : 01 43 28 36 36.

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