« Les Femmes Savantes » de Christian Schiaretti, une partition truculente où résonne l’acuité de la langue
Artisan des Rencontres de Brangues après [...]
Pièce polyphonique de l’autrice britannique Alice Birch sur les traumas familiaux intergénérationnels, Anatomie d’un suicide met en miroir trois époques et trois générations de femmes. Mise en scène par Christophe Rauck, cette partition complexe gagne le pari de la virtuosité et de l’exigence.
On commence par vouloir tout écouter, tout regarder, tout saisir. Carol entre sur scène et nous plonge dans une réalité des années 1970, la réalité de sa jeunesse. Sa fille Anna, une femme du début des années 1990, fait son apparition, un peu après, sans que sa mère ne quitte le plateau. Toutes deux interagissent avec d’autres protagonistes. Elles évoluent dans des espaces-temps différenciés qui se croisent, s’enchevêtrent, sans pour cela jamais interférer l’un avec l’autre. Ensuite, c’est au tour de Bonnie — la fille d’Anna, la petite-fille de Carol — de compléter le tableau multidimensionnel d’Anatomie d’un suicide. On découvre ce nouveau personnage au milieu des années 2020. Donnant simultanément à voir et entendre la quotidienneté de trois portions de vies, la pièce d’Alice Birch (créée en 2017 par Katie Mitchell, à Londres, au Royal Court Theatre) peut tout d’abord sembler difficile à appréhender. Les lignes narratives se brouillent, se chevauchent, donnant l’impression qu’elles jouent les unes contre les autres. Puis un point de bascule opère. Devenus étrangement familiers avec Carol, Anna et Bonnie, ainsi qu’avec les dilemmes intimes qui pèsent sur leurs existences, nous nous mettons à envisager cette partition polyphonique dans son ensemble, sans plus chercher à individualiser les lignes narratives multiples qui la composent.
Un réalisme abstrait
Ce premier sentiment de flou, presque de confusion, est le prix à payer pour être projeté dans un univers théâtral qui, jusqu’à la fin de la représentation, n’est plus que fluidité et précision. D’une grande exigence, la mise en scène de Christophe Rauck ne laisse rien au hasard. Des réflexions graves, sensibles, poignantes sur les blessures invisibles qui se transmettent de génération en génération prennent forme dans un ballet proche d’un réalisme abstrait. Ici, les choses se laissent deviner, plutôt qu’elles ne s’affichent en pleine lumière. Au sein de l’espace scénographique dépouillé imaginé par Alain Lagarde, éléments de décors et accessoires vont et viennent, entrent et sortent, participant eux aussi à la virtuosité de cette chorégraphie syncopée. Piégées par les normes sociales qui pèsent sur elles, Carol, Anna et Bonnie ont du mal à trouver le bonheur. Magnifiquement incarnés par Audrey Bonnet, Noémie Gantier et Servane Ducorps, leurs combats et leurs états d’âme nous parviennent avec force. Aux côtés d’elles, Eric Challier, David Clavel, David Houri, Sarah Karbasnikoff, Lilea Le Borgne, Mounir Margoum et Julie Pilod s’emparent avec talent des vingt-quatre autres personnages. Toutes et tous participent à la réussite exemplaire de ce kaléidoscope d’espoirs perdus et de tourments.
Manuel Piolat Soleymat
Du mercredi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 15h. Durée : 2h. Tél. : 01 46 14 70 00. www.nanterre-amandiers.com.Également du 15 au 23 mai 2025 au Théâtre National Populaire à Villeurbanne.
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