La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

20 mSv, conception et mes Bruno Meyssat

20 mSv, conception et mes Bruno Meyssat - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
20 mSv s’empare de la thématique du nucléaire. © Bruno Meyssat

Théâtre National de Strasbourg / conception et mes Bruno Meyssat

Publié le 19 décembre 2018 - N° 272

Spectacle visuel et politique, déstabilisant, 20 mSv donne à réfléchir et éprouver la menace radioactive dans une esthétique sans pareille.

C’était une découverte pour moi. Mon premier spectacle conçu par Bruno Meyssat, dont le 15% consacré à la finance avait décontenancé beaucoup de spectateurs lors du Festival d’Avignon 2012. Il faut dire que Bruno Meyssat traite de sujets explosifs, mais ne donne pas au spectateur sa dose d’indignation attendue, pas plus qu’il ne lui délivre la doxa de ce qu’il faudrait penser (que souvent au théâtre tout le monde partage déjà avant le spectacle). Dans 20 mSv, encore une fois, Bruno Meyssat fait avancer de concert une approche rationnelle du sujet et son traitement sensible, d’une grande beauté. Côté logos, les comédiens, une voix off ou des écrits projetés relatent pêle-mêle le récit de l’accident de Fukushima, les paroles d’un liquidateur (ouvrier chargé de la décontamination) de Tchernobyl ou encore l’audition du patron d’EDF. L’ensemble est éloquent. Le sentiment qui se dégage est celui d’une irresponsabilité générale des autorités dans un domaine où l’on aime à faire croire que tout est sous contrôle. A l’instar d’un Nicolas Lambert qui dévoile les arcanes de la politique nucléaire française dans Avenir radieux, une fission française, on aurait pu assister à une dénonciation efficace et éclairante des tromperies publiques sur cette question, mais le parti pris de Meyssat est tout autre.

 

Des tableaux d’une grande beaut

20 mSv développe parallèlement une approche sensible, poétique, de la vie soumise à cette menace invisible de la radiation. Les parois de la scène sont bâchées de plastique avant de s’ouvrir, au fond, sur d’immenses plaques mordorées, boursouflées, comme de métal fondant. Sur le plateau, les comédiens, sans échange verbal, enchaînent des actions qui résonnent plus ou moins directement avec le propos. Pour commencer, une femme se couvre de plastique et va embrasser à pleine bouche celui qu’on devine être son compagnon (contaminé). Régulièrement au cours du spectacle, on se vêt, se dévêt, se revêt de combinaisons, masques ou autres surchaussures protectrices dans une gestuelle plutôt lente, chorégraphiée et hypnotique. Dans l’ensemble, des actions stylisées du quotidien se mêlent à d’autres plus énigmatiques en des tableaux d’une grande beauté. Les adeptes du sens en seront pour leurs frais. C’est au spectateur, ici, de tisser les liens, de se composer un chemin. Il s’agit à travers un univers contaminé par les radiations de rendre visible, perceptible, de donner à éprouver véritablement ce que représentent la menace radioactive et la vie en zone irradiée. Le théâtre de Bruno Meyssat donne à toucher ce qu’on ne sait que concevoir en travaillant toute la matière du théâtre – verbe, corps, lumières et sons. Un travail documenté de fouille du réel, que, paradoxalement, seule peut exprimer une certaine poésie.

Eric Demey

A propos de l'événement

20 mSv, conception et mes Bruno Meyssat
du mardi 8 janvier 2019 au vendredi 18 janvier 2019
Théâtre National de Strasbourg
1 Avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

janvier à 20h, relâche le 13 janvier. Tel : 03 88 24 88 00. Durée : 1h45. Spectacle vu à la MC 93 à Bobigny.

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