Théâtre - Critique

Un Tramway

Un Tramway - Critique sortie Théâtre


En adaptant Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, Krzysztof Warlikowski parle de ses propres questionnements, s’aventurant au cœur de territoires inconnus bien au-delà de conceptions psychologiques, cherchant à travers le théâtre à faire résonner ses interrogations intimes et métaphysiques avec sincérité et exigence, ce qui n’est pas une mince affaire et requiert une dramaturgie finement travaillée. Ici la représentation n’est pas en crise et ne craint pas l’excès, voire même à l’occasion le kitsch démonstratif. Lors du dernier festival d’Avignon, (A)pollonia questionnait avec âpreté et opiniâtreté la tragédie meurtrière que l’homme perpétue avec constance tout au long de l’Histoire. Avec toujours le même talent artistique, Un Tramway questionne l’amour, le désir, la solitude, l’identité, la brutalité, et ces fêlures mentales, ces blessures profondes qui fragilisent les êtres humains jusqu’à leur faire perdre pied. Le texte français est signé Wajdi Mouawad, auquel s’ajoute un florilège de brefs extraits de La Dame aux camélias de Dumas, du Banquet de Platon, d’Œdipe à Colone de Sophocle ou encore de La Jérusalem délivrée du Tasse, sans oublier les chants de Renate Jett. Cette tragédie du quotidien dans un monde monotone et superficiel, mais bien vivant, dans ce New World américain prolétaire peuplé de “common people“, entre bouteilles de bière et parties de bowling, prend forme avec l’irruption de Blanche DuBois chez sa sœur Stella et son beau-frère Stanley Kowalski.
 
Entre Eros et Thanatos
 
 “Juste bouleversée“, ayant terriblement besoin d’aide, cette femme aux allures d’adolescente, de souche aristocratique, revendique un certain raffinement d’esprit face à son beau-frère brutal et sensuel, immigré “polac“ (« nos atavismes sont incompatibles », dit-elle), et elle dérange. Elle remet en cause le rapport à la réalité. Epoustouflante et émouvante par sa présence et son jeu qui traverse divers styles, Isabelle Huppert interprète Blanche, – le monologue “sociologique“ sur le regard de la femme sur sa propre nudité est splendide. Le petit appartement minable est ici immense, comme un miroir grossissant. Florence Thomassin (Stella, si vulnérable), Andrzej Chyra (Stanley, avec le même T-shirt que Brando) et Yann Collette (Mitch) jouent parfaitement toute la palette des tensions entre Eros et Thanatos. « J’ai suivi la tension montante et la colère et la violence du monde et de l’époque où je vis, à travers ma propre tension toujours croissante en tant qu’écrivain et que personne. » C’est ainsi que Tennessee Williams caractérise son écriture en 1957, dix ans après avoir créé Un Tramway nommé Désir. Un spectacle impressionnant de maîtrise et d’audace, affrontant la terrible tristesse d’une vie perdue.
Agnès Santi

Un Tramway d’après Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mis en scène Krzysztof Warlikowski, texte français Wajdi Mouawad, du 4 février au 3 avril, du mardi au samedi à 20H, dimanche à 15H, au Théâtre de l’Odéon, 75006 Paris. Tél : 01 44 85 40 40. Durée : 2h45.

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