Théâtre - Critique

Serial plaideur

Serial plaideur - Critique sortie Théâtre


Juriste séditieux, habile bretteur au barreau, défenseur de l’« indéfendable » et ami des plus troubles personnalités : Me Vergès a la réputation d’iconoclaste, l’aura médiatique d’un avocat sulfureux, narguant volontiers le prétoire et l’ordre établi. L’homme est là, sur scène, derrière un bureau cossu, entouré d’œuvres d’art et de dossiers en souffrance, sans apparat d’habit. Sans doute même porte-t-il le gilet chaud des soirs de studieuse veille. Cigare aux lèvres, il entreprend d’expliciter sa « passion de défendre », la « magie du procès », les « parentés de forme et de fond, qui unissent l’œuvre littéraire et l’œuvre judiciaire ». « Un dossier de justice est toujours le résumé d’un roman, le thème d’une tragédie, le synopsis d’un film. », dit-il. La confession commence par une sentencieuse leçon sur justice et littérature. Affleurent déjà l’exaltation romanesque de la beauté du crime, la fascination pour la transgression et les destins d’exception, l’orgueil du rhéteur qui prétend égaler le poète et crée le réel en rapiéçant les faits sur la trame d’une plaidoirie. Puis, de tragédies en dossiers criminels, l’avocat poursuit son récit, l’émaille de souvenirs, de méditations et références lettrées… serre peu à peu le nœud de sa démonstration : que les lois sont contingentes, pour preuve que les interdits d’hier sont les règles d’aujourd’hui, que le crime est signe d’hominisation, que nous vivons tous dans le péché, que comprendre n’est pas excuser, que le plus effroyable des assassins n’en reste pas moins irréductiblement humain. Donc comme tout un chacun.

La défense comme un art


Et donc, que « la profession d’avocat n’est pas seulement l’exercice d’une technique, c’est aussi et avant tout une manière d’assumer l’humanité de tous les hommes, coupables ou non. »  Maniant subtilement la rhétorique aux accents camusiens (« Dans tout coupable, il y a une part d’innocence » écrivait Camus à son ami Jean Grenier), Jacques Vergès se peint en esthète humaniste, lion solitaire parmi les dindons, défenseur acharné des opprimés comme des monstres, à rebours de ses confrères, « alpinistes de l’ascension sociale ». Et dans l’envol improvisé d’une réplique se compare au curé de campagne de Bernanos. Le portrait est flatteur, cachant sous ces belles couleurs les autres faces du personnage, les ambiguïtés d’un homme révolté, agitateur arrogant et farouche militant anticolonialiste, qui parut souvent dériver vers l’antisionisme et prendre fait et cause pour les pires tortionnaires et pour le terrorisme. Serait-ce là une réponse au tableau contrasté de L’Avocat de la terreur (2007), film documentaire de Barbet Schroeder, devenu depuis lors son « cher ennemi » ? L’inventeur du concept de « défense de rupture » n’a plus à démontrer en tout cas son expert maniement de la tactique de diversion par médias interposés. Sur le plateau, il semble pourtant se présenter sans fard. Serial plaideur relèverait ainsi plus de la conférence que du théâtre en dépit de quelques malheureuses tentatives de mise en scène. Ordonnateur méticuleux de sa propre « légende », il prend la pose du dandy baudelairien sauveur des âmes perdues. Là est peut-être la représentation…

Gwénola David


Serial plaideur, de et avec Jacques Vergès, adaptation Louis-Charles Sirjacq, jusqu’au 29 décembre 2008, le dimanche à 18h et 21h, le lundi à 21h, au Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, 75008 Paris. Rens. 01 42 65 06 28 et www.theatredelamadeleine.com. Durée : 1h40.

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