La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sans objet

Sans objet - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Sans objet : vers un monde d’hommes-machines ? Crédit photo : Aglaé Bory

Publié le 10 février 2010

Dans Sans objet, en guise de nouveau danseur, Aurélien Bory propulse sur scène un gigantesque robot polyarticulé issu de l’industrie automobile. Une proposition singulière et frappante autour de la question de la technique.

Sans machine, paradoxalement, l’homme n’est plus humain, si c’est sa capacité à offrir une fin aux choses qui le distingue de l’animal. Sans objet retrace donc cette Odyssée à la Kubrick qui a permis à l’hominidé de s’extraire de la Préhistoire. Souvenez-vous : l’os se mue en arme entre les mains de notre ancêtre Sapiens, des millénaires avant que l’ordinateur ne se retourne contre son créateur. C’est la fable de l’arroseur arrosé et la même boucle que lace le spectacle. Avec le spectateur, deux hommes découvrent d’abord, caché sous une immense bâche noire, un long bras articulé. Où sommes-nous’ Dans le noir. Un noir profond et sauvage. Le noir des débuts du monde, d’un monde que l’homme commence à interroger. Sous la bâche, le robot high-tech – ultra-moderne, archi précis, dernier modèle de ces machines qui dans un souffle assemblent des pans de voitures au millimètre près – grogne telle une bête sauvage. Il tremble, tressaille, puis déploie son immense carcasse de monstre hybride – mi-dinosaure, mi-humanoïde – et se saisit des danseurs qui tentaient de l’apprivoiser.
 
La poésie de l’inutile
 
Veut-il les tuer ? Simplement jouer ? Machine et danseurs déploient le ballet d’une découverte réciproque faite d’innocence et de méfiance. Pourront-ils cohabiter ? S’associer ? Qui de la machine ou de l’homme manipule l’autre ? Qui finira par régner ? Voilà quelques-unes des questions que soulève l’évolution de leurs rapports. Le propos philosophique et politique, qui fut souvent au centre du débat sur la technique, passe ici au second plan : c’est avant tout une épatante performance visuelle et technique que propose Aurélien Bory. Seul signe des temps : vêtus comme des cols blancs, dans un espace que la machine transpose de l’horizontal au vertical, à l’image des centres d’affaire où les cadres gravitent entre des gratte-ciel, les danseurs sont happés par le robot comme l’occidental moderne par la technologie. Mais le spectacle se veut comme son titre : sans objet. L’expérience plastique et technique prime sur la constitution d’un sens, et la narration sans parole laisse les évocations s’éparpiller. Au final tout retourne dans l’indistinct du noir : semblable aux polyptiques de Soulage, faisant écran en avant-scène, la bâche tendue sur un câble cogne, se gonfle, puis se perfore sous les coups. C’est la guerre contre les machines, la fin de l’Histoire tant redoutée : le cœur de l’homme qui meurt vaincu par la technique. L’hypothèse d’un monde qui, délaissant l’art, courra à sa perte en faisant croire qu’il sait où il va, demeure plus plausible que jamais. A la pente de ce monde, Sans Objet oppose la poésie de l’inutile. C’est le propos et la beauté de ce spectacle.
Eric Demey


Sans objet, conçu, scénographié et mis en scène par Aurélien Bory. Spectacle vu au TNT de Toulouse. Du 23 février au 6 mars au théâtre de la Ville, les Abesses, 31 rue des Abesses, 75018 Paris. Res : 01 42 74 22 77. Les 26 et 27 mars à la Scène Nationale de Sète. Le 1er avril à l’Hippodrome à Douai et le 11 mai au Parvis à Tarbes.

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