La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Retour au désert

Retour au désert - Critique sortie Théâtre SAINT ETIENNE Comédie de Saint-Etienne
Crédit photo : Sonia Barcet

Entretien Arnaud Meunier / Rire de ce qu’on ne dit pas

Publié le 2 septembre 2015 - N° 235

Arnaud Meunier réunit Catherine Hiegel et Didier Bezace pour incarner le duo central d’une fable provinciale à l’humour noir, qui convoque zones d’ombre de la mémoire coloniale et revenants.

Quel est le thème de Retour au désert ?

Arnaud Meunier : La pièce se situe dans les années 60. Mathilde rentre d’Algérie retrouver la maison familiale où règne son frère, Adrien, riche industriel et notable proche des milieux de l’OAS. Même si rien n’est exactement nommé, on imagine la Lorraine natale de Koltès, originaire de Metz. Le désert sur lequel joue le titre n’est pas celui d’où revient Mathilde : le désert, c’est la province française. La pièce traite profondément de nos relations avec l’Algérie et surtout des fantômes qui hantent ces relations. Le sujet est d’autant plus fort que beaucoup de notre histoire actuelle se joue autour de cette partie de notre histoire peu ou mal enseignée, douloureuse, complexe. Paradoxalement, peu de pièces ont été écrites sur ce sujet : lorsque j’en ai cherché une à monter, je ne voyais pas de grand texte, à part celui de Koltès.

« Koltès, qui regrettait qu’on prenne ses pièces trop au sérieux, passe par le rire pour porter le fer au plus profond. »

Le théâtre joue-t-il, à cet égard, un rôle historique et politique ?

A. M. : Le théâtre apporte sa pierre. J’ai beaucoup d’admiration pour Michel Vinaver, et je crois, comme il le dit, que le théâtre est fait pour ébranler les certitudes et peut contribuer au progrès. Evidemment, le théâtre ne fera pas ce que les politiques n’osent pas faire. Il faut pourtant rappeler que la relation entre la France et l’Algérie concerne un Français sur trois, de près ou de loin : entre ceux qui sont nés là-bas, ceux qui y ont grandi, y ont fait leur service militaire ou la guerre, c’est considérable ! Koltès a grandi dans une ville militaire, et à Metz comme à Paris, il y a eu des Algériens jetés dans la rivière. Ce lourd passé l’a marqué. Et il continue à nous marquer dans la mesure où il rebondit sur les débats actuels. Les gens qui ont vécu cette histoire sont toujours vivants : demeure un brasier sur lequel soufflent régulièrement les politiques, entre les débats sur le rôle positif de la colonisation, l’instrumentalisation de l’électorat pied-noir ou harki. En début d’année, les attentats ont poussé les gens à en parler à nouveau.

Sur un sujet aussi brûlant, Koltès écrit pourtant une comédie…

A. M. : Ce que j’aime avec cette pièce, c’est qu’elle est atypique. Elle est basée sur des faits violents, mais elle est d’abord une comédie. Koltès, qui regrettait qu’on prenne ses pièces trop au sérieux, passe par le rire pour porter le fer au plus profond, et son rire est féroce et grinçant. Le moteur de la pièce amène à rire de ce qu’on ne peut pas dire. Pourtant, le fond est inquiétant : Adrien et ses amis flirtent avec l’extrême droite ; il est question du secret des provinces françaises, des femmes dont on se débarrasse, comme le rappelle le fantôme de la première épouse d’Adrien. Cette comédie s’organise autour d’un duo de monstres sacrés : Jacqueline Maillan et Michel Piccoli à la création, Myriam Boyer et François Chattot dans la mise en scène de Nichet. J’ai rêvé au tandem entre Catherine Hiegel et Didier Bezace, qui ont tous les deux la force de caractère des personnages. La pièce n’est jouable que quand on trouve ce duo central. Après l’avoir trouvé, j’ai déclenché le projet, et l’urgence m’en est apparue encore plus grande depuis janvier.

Pourquoi ?

A. M. : Ces événements nous imposent une responsabilité accrue, autant dans le répertoire qu’on choisit que dans la manière dont on partage le travail avec les populations. Nous avons orienté notre programmation avec des spectacles qui interroge l’autre, l’étranger, et nous avons réorienté les ateliers de pratique théâtrale menés par La Comédie de Saint-Etienne, allant davantage où les choses sont plus fragiles, plus sensibles, dans les collèges, dans la rencontre avec les jeunes non scolarisés. Ces événements ont produit diverses réactions : certains sont tétanisés, d’autre découragés et d’autres cherchent à aller de l’avant. Il y a eu plusieurs phases dans ces réactions, et du travail reste à faire, dans la mesure où les questions sont loin d’être réglées.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Retour au désert
du jeudi 1 octobre 2015 au dimanche 28 février 2016
Comédie de Saint-Etienne
7 Avenue Président Emile Loubet, 42000 Saint-Étienne, France

Du 1er au 11 octobre 2015, à 20 h, sauf les samedis 3 et 10 à 17 h et le dimanche 11 à 15h ; relâche les 4 et 5 octobre. En tournée jusqu’en février 2016. Tél. : 04 77 25 14 14.

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