Danse - Entretien / Ohad Naharin

Repousser les limites et sublimer le mouvement

Repousser les limites et sublimer le mouvement - Critique sortie Danse Paris Chaillot - Théâtre national de la danse


Chaillot - Théâtre national de la Danse / Chor. Ohad Naharin

Ohad Naharin, pourquoi créez-vous ?

Ohad Naharin : Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu du plaisir à faire surgir quelque chose à partir de rien. J’aime raconter des histoires. Depuis mon plus jeune âge, j’ai constamment aimé imiter les choses, les gens. J’ai beaucoup appris ainsi, par imprégnation. Presque en copiant. Et je pense qu’il existe encore nombre de terrains de jeu à explorer, de lieux imaginaires dont je peux rêver qu’ils existent, dans lesquels je peux aller avec les gens que j’aime. C’est le sens de la découverte, la recherche du geste, c’est aller plus loin que mes limites ordinaires. C’est aussi ce que je peux apprendre et ce que je veux partager, le plaisir du mouvement, de la gestuelle ou de l’organisation. C’est ma passion. C’est ma capacité à faire usage de mes démons, de mon anxiété, de les transformer, les sublimer, pour les traduire sous une forme claire. C’est mon sens de l’autodérision. C’est ce qui borde ma conscience quand je m’endors ou quand ma fille s’assoupit dans mes bras. Je me sens vivant quand je crée.

Qui a choisi les pièces qui vont être présentées à Chaillot – Théâtre national de la Danse ?

O.N. : J’ai tissé au cours de ces trois dernières années des relations très proches avec l’équipe de Chaillot. Il y a donc une sorte de logique à y présenter mon travail le plus récent, Venezuela. Et comme il existe désormais cette nouvelle et magnifique boîte noire, totalement modulable qu’est la salle Firmin Gémier, j’ai la possibilité de présenter Mamootot, une pièce très spécifique avec un dispositif quadri-frontal.

Que signifient pour vous les titres Mamootot ou Venezuela ?

O.N. : Pour Venezuela, je m’étais dit que je ferais tourner une mappemonde et là où mon doigt atterrirait, ça deviendrait le titre de ma pièce. Et Venezuela est un mot qui sonne bien. Quant à Mamootot, en hébreu, « mort » est un mot de trois lettres, si vous l’écrivez deux fois dans un ordre différent, vous obtenez Mamootot. C’est aussi le symbole de quelque chose qui s’est éteint, qui n’existe plus. Au moment où je l’ai créé en 2001, c’est tout ce que j’avais en tête, en permanence. Je n’ai pas voulu en parler pendant des années, mais maintenant, c’est devenu possible. La mort est un sujet lourd, mais j’ai aussi joué avec, comme j’ai joué avec les lettres, je les ai doublées et j’en suis sorti. Mamootot signifie aussi mammouth en hébreu, et c’est un titre que j’aime. Les noms ne doivent pas être pris au sérieux, ils ne correspondent pas nécessairement à ce qu’ils sont censés représenter ou signifier. Ils sont partagés par les gens qui nous nomment, mais ne disent pas forcément quelque chose de nous. Néanmoins on peut les aimer, jouer avec, et même en changer. Il ne faut pas leur donner trop d’importance, même si on les choisit avec grand soin.

Quelle place a le Batsheva Young Ensemble par rapport à la compagnie principale ?

O.N. :  Le Young Ensemble me permet de produire plus de pièces, de faire vivre autrement mon travail et de le développer. Ce que la Batsheva ne peut pas faire. Donc l’Ensemble est une chance de revisiter et de déployer mes œuvres, car elles ne sont pas faites pour rester sur une étagère. Elles sont conçues pour évoluer, au gré des spectacles, des processus, des répétitions et dans la rencontre avec des danseurs. Par exemple, pour cette production de Sadeh 21 que nous apportons à Chaillot, j’ai remplacé la musique de quatre sections. Cela fait partie, pour moi, du processus de création. Le Young Ensemble me donne la chance de pouvoir le faire.

« Je me sens vivant quand je crée. »

Que dites-vous aux gens qui manifestent régulièrement lors de vos spectacles et appellent au boycott ?

O.N. : C’est une situation très triste. Car les gens qui veulent boycotter mes spectacles le font au nom de la cause palestinienne, au motif des Territoires occupés, avec l’idée que nous sommes pieds et poings liés à cette occupation. Or c’est aussi une de mes préoccupations majeures. Je ne suis pas contre le boycott, mais le boycott ne marche pas. C’est l’expression d’une forme de pensée binaire : nous sommes Israéliens, donc il faut nous boycotter. Cette posture ne tient pas compte de qui on est, moi, les artistes, les danseurs, ma compagnie. Les gens qui me boycottent ne se rendent pas compte que l’on représente, en Israël, un espoir de changement. C’est une paresse de l’esprit. J’ai toujours dit que si boycotter ma compagnie pouvait aider la cause palestinienne, je le ferais moi-même. Mais cela n’aide en rien. Au contraire, cela ajoute au conflit et ne propose aucune solution. Parfois, je pense que ces gens qui boycottent le font pour eux-mêmes, pour avoir bonne conscience à peu de frais. Je crois que je fais beaucoup plus pour les Palestiniens à titre individuel, que ne le font ces gens-là.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

A propos de l'événement


Mamootot / Venezuela / Batsheva The Young Ensemble
du mercredi 10 octobre 2018 au samedi 27 octobre 2018
Chaillot - Théâtre national de la danse
1, place du Trocadéro, 75116 Paris.

Tél. : 01 53 65 31 00.


Mamootot : Mer.10, jeu. 11, ven.12,  à 19h45 et à 21h45 durée 1h00.


Venezuela : Mar. 16, mer. 17, ven. 19, à 20h30. Jeu 18, sam. 20 à 19h45, dim. 21 à 15h30. Durée : 1h20.


Batsheva The Young Ensemble. Décalé : Jeu. 18, ven. 19 à 10h00 et 14h30,  sam. 20 à 15h30 et 19h00, dim. 21 à 11h et 15h30. Durée : 50 minutes.  Sadeh 21 :  Mer. 24 et ven. 26 à 20h30, jeu. 25 et sam. 27 à 19h45. Durée : 1h15.


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