La Terrasse

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Avignon - Critique

« Radio Live chapitre 3 : Réuni.es » par Aurélie Charon : un remarquable théâtre de la rencontre, au sens fort du terme

« Radio Live chapitre 3 : Réuni.es » par Aurélie Charon : un remarquable théâtre de la rencontre, au sens fort du terme - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Festival d’Avignon. Théâtre Benoît XII
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Radio Live chapitre 3 : Réuni.es

Théâtre Benoît-XII / conception et écriture scénique Aurélie Charon

Publié le 18 juillet 2025 - N° 334

Complété par Vivantes, et Nos vies à venir, le chapitre 3 du projet Radio Live présenté au Festival d’Avignon fait vivre un théâtre documenté captivant. Yannick, Karam et Sihame, mais aussi leurs familles, nous parlent. Une exploration de l’intime touchante, où résonnent puissamment les douleurs de l’histoire, les notions d’engagement, de mémoire, d’identité.

C’est un théâtre de la rencontre, au sens fort du terme. Un théâtre de la parole, parole à la fois documentée, ancrée dans une réalité concrète, et capable de traverser les frontières, qu’elles soient mentales ou géographiques. Initié il y a plus de dix ans par Aurélie Charon et Amélie Bonnin sous la forme de séries documentaires pour France Inter ou France Culture, le projet Radio Live ne se contente pas d’éclairer la vie de jeunes issus le plus souvent de zones de conflits : il les rassemble en faisant vivre un art du dialogue qui se fait amitié, à l’écoute du monde, à l’écoute de l’autre. Tout cela au sein d’un dispositif à la fois simple et pointu, remarquablement efficace. Une table, quelques chaises, des micros, un vaste écran en fond de scène, un autre plus petit à cour. La musique et le chant d’Emma Prat, très beaux. La création visuelle de Gala Vanson. Les images filmées de Hala Aljaber, Aurélie Charon et Thibault de Chateauvieux, entre archives et moments de vie, visages et paysages. Sur le plateau, Aurélie Charon questionne, pousse l’enquête jusqu’au cœur de l’intime, faisant s’élever la parole des protagonistes mais aussi de certains membres de leurs familles. Le Festival d’Avignon présente un triptyque : Vivantes (2024) autour de l’Ukraine, de Syrie et de Bosnie, ainsi que deux volets nouvellement créés, Nos vies à venir autour de Beyrouth, Gaza et la Syrie, et Réuni.es, avec le rwandais Yannick Kamanzi, le syrien réfugié palestinien Karam Al Kafri, la franco-marocaine Sihame El Mesbahi. Ce qui est profondément touchant, c’est le mouvement de la pensée, ainsi que sa dimension familiale, autour des notions d’engagement, d’identité, de partage. Les histoires ne sont pas racontées de manière successive mais forment un puzzle sensible.

Un puzzle sensible

Yannick, dont la famille a été frappée par le génocide au Rwanda en 1994 (quasi un million de victimes), cherche à contrer les silences, à donner forme à la transmission du génocide. Les mots de son père impressionnent fortement, comme ceux d’Assumpta qui dirige le centre IRIBA à Kigali, dédié à la mémoire de l’histoire du Rwanda où en 1994 eut lieu le génocide des Tutsis. Ici chaque mot, chaque expression de soi fait écho aux douleurs de l’histoire. Et la danse de Yannick est saisissante. Karam Al Kafri, né à Yarmouk dans le Sud de Damas, ville où se sont installés les réfugiés palestiniens depuis les années 1950, raconte son identité syrienne et palestinienne, les espoirs nés lors des Printemps arabes, la répression du régime syrien, l’exil, la guerre civile qui a vu sa ville dévastée. Là encore, les mots font écho à l’histoire douloureuse, même si des moments de gaieté émergent. Avec le Maroc chevillé au corps, dont ses légendaires pâtisseries, l’avignonnaise Sihame El Mesbahi, qui a grandi à Monclar à quelques centaines de mètres des remparts, explicite son identité ancrée dans la région rifaine d’où viennent ses parents, ce que signifie pour elle la frontière entre l’intra muros et l’extra muros, attachés à des réputations bien connues. Admise à Sciences Po Paris, elle a opté pour le droit. En vidéo l’une de ses professeurs de collège se remémore l’élève rebelle et les débats qui ont suivi l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, évoquant « ce que vivent les musulmans ». Un moment choisi qui résonne comme une irruption idéologique malvenue (le fameux « oui, mais » – même lorsqu’on s’en défend) qui tranche avec la tonalité de la pièce. Globalement, au fil des trois récits, la puissante et dense singularité de chaque situation résonne d’une force universelle, et aussi d’une forme de douceur. Une pièce poignante, profondément humaine.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Radio Live chapitre 3 : Réuni.es
du lundi 14 juillet 2025 au lundi 21 juillet 2025
Festival d’Avignon. Théâtre Benoît XII
12 rue des Teinturiers, 84000 Avignon.

Les 14 et 19 juillet 2025 à 17h (Vivantes), les 15 et 20 juillet à 17h (Nos vies à venir), les 16 et 21 juillet à 17h (Réuni·es), intégrale le 18 juillet à 13h. Tél : 04 90 14 14 14. Durée : 2h20 par spectacle, 9h avec entractes (intégrale).

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