La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Prison possession

Prison possession - Critique sortie Théâtre Paris Maison des Métallos
François Cervantes dans Prison possession. © Melania Avanzato

Maison des Métallos / conception de François Cervantes, à partir d’une correspondance avec Erik Ferdinand.

Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

Dans un seul en scène d’une belle sobriété, François Cervantes témoigne de son expérience avec des détenus. Avec Erik Ferdinand en particulier, avec qui il a entretenu une longue correspondance. Et dont il se fait maintenant le passeur.

Difficile d’imaginer deux hommes plus dissemblables. Tandis que l’un crée des spectacles et voyage, l’autre est enfermé depuis des années dans une cellule de sept mètres carrés. Coupé du monde. Sans la proposition régulièrement adressée à des artistes de travailler avec des détenus de la prison du Pontet, non seulement François Cervantes n’aurait pas connu Erik Ferdinand, mais il n’aurait pas mesuré l’effet du milieu carcéral sur les corps et les pensées. Une visite lui a suffi. « Ils ont l’air seuls, amputés de leur lien avec le monde, de ce qui fait leur humanité », dit-il dans Prison possession, le visage éclairé d’une lumière qui fait défaut au reste du plateau occupé d’une seule table en bois. Un constat qui n’est pas celui d’un échec, mais d’une difficulté qui est le sujet principal du spectacle : trouver un langage susceptible de traduire la distance entre théâtre et prison. Entre liberté et incarcération. Car dès son premier contact avec l’institution, François Cervantes a opté pour une approche très différente de la plupart des metteurs en scène engagés dans des démarches similaires. Plutôt que de chercher à mettre directement sa pratique au service des détenus, il a préféré passer par la correspondance. Soit un terrain relativement neutre pour les deux partis. Une manière douce de réduire l’écart entre le dedans et le dehors. Tâtonnante aussi. Sans garantie de résultat. Ce qui rend la rencontre entre l’écriture de François Cervantes et celle d’Erik Ferdinand d’autant plus précieuse et troublante.

Au-delà des barreaux

Bien droit et immobile au centre de sa fenêtre lumineuse, François Cervantes se place d’emblée hors de tout pathos. Loin aussi de tout naturalisme. Lentement, à peine assez fort pour se faire entendre, il commence par évoquer sa naissance en 1954. La première partie de son enfance à Tanger, son départ pour la France à l’âge de huit ans et son adolescence plutôt triste. La découverte d’un « volcan caché en lui » suite à une altercation dans une cafétéria, et peu après celle du désir de vivre « entre les corps et les mots ». Autrement dit, dans le théâtre. On pense à l’écriture « blanche » ou « au couteau » d’Annie Ernaux. Sans affects, le ton et le langage qu’il emploie sont déjà ceux du passeur. En se mettant face à lui-même en position d’étrangeté, le comédien, auteur et metteur en scène partage le risque pris par Erik Ferdinand qui lui a confié ses douleurs. Ses errances dans « un univers mental qui n’a plus rien à voir avec l’univers commun » et les détails de sa tentative d’évasion. Peu à peu, les phrases de l’un se mêlent à celles de l’autre. Elles s’unissent dans le corps toujours dressé sur scène, qui n’est plus vraiment celui de François Cervantes, mais plutôt la preuve physique d’une expérience de parole entre deux personnes. Chose rare qui est « comme une prière » car « à travers eux, le ciel et la terre se touchent ». Malgré les barreaux, la prison rejoint ainsi l’espace d’une heure l’essence du théâtre.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Prison possession
du mardi 30 janvier 2018 au dimanche 4 février 2018
Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris, France

Mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h. Tel : 01 47 00 25 20. www.maisondesmetallos.paris. Vu au Gilgamesh Belleville à Avignon en juillet 2017.

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