Théâtre - Critique

Place des héros de Thomas Bernhard, mis en scène par Krystian Lupa

Place des héros de Thomas Bernhard, mis en scène par  Krystian Lupa - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux


Reprise / texte de Thomas Bernhard / mes Krystian Lupa

Ils parlent ou ils se taisent. Donnent corps à de longs monologues. Se manifestent dans la simplicité d’activités quotidiennes : s’asseoir sur un banc, convoquer la mémoire et les propos d’un proche venant de mettre fin à ses jours, s’atteler au rangement d’un placard, prendre place autour d’une table à l’heure du repas, repasser une pile de linge… Dans des décors et des lumières (de Krystian Lupa) qui portent plus loin que leur apparent réalisme, les interprètes lituaniens** de Place des héros pèsent, jusque dans leurs non-dits, de tout leur poids humain. Lentement. Pleinement. Sans le début d’une coquetterie. La vie, lorsqu’elle s’exprime à travers une telle évidence, n’a pas besoin de frasques ou de traits de fantaisie. Elle se suffit à elle-même. Déploie une densité d’autant plus frappante que ses fondements échappent. Sa force, aussi, reste mystérieuse. Sa beauté surgit d’on ne sait où. Comme dans la plupart des créations du metteur en scène polonais, les fils de la temporalité se distendent et nous englobent. Ils nous emportent dans un monde qui outrepasse l’idée de réussite théâtrale.

La consistance des mots et des silences

Car cette version tout en élans contenus de la pièce testamentaire de Thomas Bernhard (l’écrivain autrichien a écrit Place des héros en 1988, un an avant sa disparition) est d’une amplitude hors norme. Centrée sur les impulsions souterraines que font naître les onze comédiens, la mise en scène de Krystian Lupa frappe comme une tornade sans pluie. Et sans vent. Une tornade sèche, en somme, sourde, qui vient pourtant réactiver de manière surprenante les traumatismes d’un passé qui se réinvente dans le présent. L’Anschluss. Les fantômes du nazisme. La décomposition morale et politique d’un peuple, d’une nation. « Les gens ne soupçonnent pas que la catastrophe peut arriver », dit l’un des personnages. Du XXème au XXIème siècle, le cinglant Thomas Bernhard fait ici plus que jamais figure de visionnaire. Il dénonce, pointe du doigt, apostrophe. Krystian Lupa, intime de cette grande écriture, explore la consistance des mots, mais aussi des silences. Il touche à l’invisible. A l’irreprésentable.

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement


Place des héros de Thomas Bernhard, mis en scène par Krystian Lupa
du vendredi 22 mars 2019 au dimanche 31 mars 2019
Les Gémeaux
49 avenue Georges Clémenceau, 92330 Sceaux

à 20h45, dimanche à 17h, relâche lundi. Tél :01 46 61 36 67. Spectacle en lituanien surtitré en français, vue lors du Festival d’Avignon 2016. Durée : 4h, entractes inclus.


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