La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Patrick Verschueren

Patrick Verschueren - Critique sortie Théâtre
Crédit : Frédéric Grimaud

Publié le 10 avril 2011 - N° 187

L’Examen poétique d’une conscience troublée

Le fondateur de la Compagnie Ephéméride met en scène La Séparation des songes de Jean Delabroy. Un monologue interprété par Céline Liger qui s’inspire librement de l’enlèvement et de la séquestration de Natascha Kampusch.

De quelle façon La Séparation des songes met-elle en perspective l’histoire de Natascha Kampusch ?
Patrick Verschueren : Le monologue de Jean Delabroy nous place face à une jeune fille seule, assaillie de questions que l’on n’entend pas. Une jeune fille poursuivie par les souvenirs d’une captivité de plusieurs années, par les rumeurs confuses du drame en cours, qui tente de dire l’indicible. Dans ce retour au réel aussi douloureux que libérateur se dévoilent l’ambiguïté et la force du lien qui s’est instauré entre elle et son ravisseur. Librement inspiré de l’enlèvement et de la séquestration de Natascha Kampusch, La Séparation des songes, malgré la noirceur de son sujet, nous permet de découvrir l’incroyable vitalité de cette enfant devenue femme hors du monde. Elle nous permet également de nous rapprocher au plus près de son ravisseur en nous rappelant, à juste titre, que la limite entre le bien et le mal est beaucoup plus fragile que ce que l’on veut bien en dire. Mais plus loin encore, cette pièce nous invite à nous poser la question de notre propre liberté dans un monde de plus en plus asservi au dieu de la consommation, un monde où les individus sont de plus en plus repliés sur eux-mêmes.
 
Quelle vision de cette jeune femme votre mise en scène propose-t-elle ?
P. V. : Celle d’une jeune fille qui se bat. D’une jeune fille qui se bat avec elle-même, contre elle-même, avec son ravisseur, contre son ravisseur, avec la police, contre la police… Elle est comme sur un ring de boxe où l’adversaire change sans cesse de visage. C’est ainsi à l’intérieur d’un carré magique que tout à lieu et que se joue sa propre liberté : chaque fois qu’elle en sort, c’est pour mieux y retourner avec sans doute plus de fatigue, mais aussi avec plus de détermination et plus de rage.
 
« La Séparation des songes appelle à une rébellion contre toute forme de résignation. »
 
Quel lien souhaitez-vous créer entre ce personnage blessé et les spectateurs ?
P. V. : L’un des tours de force de Jean Delabroy, c’est de ne jamais rentrer dans le registre de la plainte. Parce que cette jeune fille cherche à comprendre, elle va se servir du public pour engager sa propre introspection. Mais, en nous invitant à la suivre, elle va peu à peu nous amener à nous poser, à notre tour, les mêmes questions. Utilisant le subterfuge que Camus utilise dans La chute, elle passe insensiblement du « je » au « nous », puis du « nous » au « vous », nous interrogeant ainsi sur notre propre enfermement. La Séparation des songes appelle à une rébellion contre toute forme de résignation. « L’homme moderne n’a pas renoncé à ses responsabilités sans y avoir réfléchi avant » écrivait Romain Gary. C’était en 1980. Aujourd’hui, la quête de liberté de cette jeune fille enfermée fait à nouveau résonner à nos oreilles ce petit poème de Brecht : « Ne vous laissez pas conter que la vie est peu de choses. Buvez-la à pleines gorgées. Vous n’en aurez pas eu votre comptant quand il vous faudra la quitter. »
 
Au sein de quel univers scénographique avez-vous plongé Céline Liger?
P. V. : Parce que nous ne pourrons jamais démêler le vrai du faux, nous sommes entraînés à suivre ce personnage dans « la pauvre petite chambre de son imagination ». Ainsi, si l’espace revêt d’abord un aspect ordinaire, celui-ci s’estompe peu à peu pour se transformer en monde englouti, en fond de mer, en ventre de baleine… Et la froideur de la cave fait place à un feu impossible à éteindre : aussi puissant que la lave d’un volcan. Dans ce difficile combat avec les fantômes, il arrive que le silence l’emporte. Mais même lorsqu’elle ne peut plus dire, parce que l’esprit fait obstacle, elle ne s’avoue pas vaincue et tente encore de se faire entendre en exprimant par son corps ce que les mots ne sont plus capables d’exprimer.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


La Séparation des songes, de Jean Delabroy ; mise en scène de Patrick Verschueren. Du 7 au 9 et du 14 au 16 avril 2011. Les jeudis à 15h et 20h30, les vendredis et samedis à 20h30. Le Vent se lève !, Tiers-lieu, 181, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Réservations au 01 77 35 94 36.

Reprise le 30 avril 2011 au Théâtre de l’Arlequin de Morsang-sur-Orge, le 7 octobre au Café Cultures de Draveil, le 21 octobre à l’Espace Jean-Vilar d’Arcueil.

A propos de l'événement


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