Classique / Opéra - Entretien

Patricia Petibon

Patricia Petibon - Critique sortie Classique / Opéra


Ce disque est conçu autour du sentiment amoureux. Quel plaisir avez-vous à chanter ce sentiment ?
Patricia Petibon : Le sentiment amoureux est très varié et complexe. Il peut aller du sentiment très juvénile de l’amour jusqu’à la folie. Toutes les femmes réunies dans ce disque pourraient être la même. Elles passent par la colère, la passion, la rage, la découverte de l’amour… Ce qui est intéressant c’est d’utiliser pleinement la voix pour colorer toutes ces émotions. J’avais besoin d’une palette très large.

On retrouve dans le projet de ce disque votre goût pour les voyages musicaux en liberté, laissant libre cours à votre implication très théâtrale d’interprète…
P. P. : En concevant le programme d’un disque, je cherche à trouver un rythme. Il faut qu’il y ait des cassures, des brisures… Parce que cela ne m’intéresse pas de chanter Barberine de la même façon que Suzanna. Elles n’ont rien à voir ! La voix doit se mettre au service de l’expression. Ce qui est intéressant, c’est alors de chercher un chemin qui va vers une redécouverte de la partition, presque vers un travail de création.

En puisant à l’intérieur de soi…
P. P. : Oui et avec le peu de moyens dont on dispose, c’est-à-dire sa propre voix. On doit essayer d’utiliser toutes ses facettes et pas seulement la belle esthétique. Ce « beau » qui ne frise pas les oreilles.J’aime surfer sur un autre terrain : la voix est un instrument avec une vraie palette de couleurs. Et on n’est pas obligé de faire des camaïeux de gris ! C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire des choix au niveau du vibrato et de la pureté de la voix. Un chanteur d’opéra n’est pas seulement un chanteur avec une « grande voix », un grand vibrato, et toujours la même esthétique et la même couleur. Si j’en ai envie, je peux vraiment aussi par exemple donner de la pureté à ma voix, sans chichis, en utilisant une voix presque proche de celle de l’enfant.

C’est une façon de se livrer, de se mettre à nu, d’oser être moins belle…
P. P. : Oui, parce que je crois qu’il faut aussi montrer ce qui est laid. Je n’ai pas peur du laid dans la voix. Je crois que c’est ça qui est intéressant : aller dans les coins les plus rudes « en grattant les murs », et aussi ensuite, aller dans les coins les plus chauds et profonds.

La voix selon vous doit être le reflet d’une vérité…
P. P. : Oui et je dis « Pas de chirurgie esthétique ! ». Je ne veux pas rassurer avec mes interprétations. Comme un visage « parfait » qui cesserait d’être intéressant. Cela rassure de voir un « visage » parfait, cela rassure sur une sorte d’éternité. Mais ce qui est intéressant chez l’artiste, c’est de sentir et voir le chemin. Les blessures et les belles choses… Et ce chemin n’est pas forcément une autoroute en béton.

« Je n’ai pas peur du laid dans la voix »

Duquel des trois compositeurs au programme de ce disque – Haydn, Mozart et Gluck- auriez-vous pu tomber amoureuse ?
P. P. : Mozart ! (éclat de rire). Si on me dit, maintenant, tu pars avec un des trois, alors c’est sûr c’est lui ! Mozart vit avec moi. Il est partout C’est vraiment un des compositeurs qui a compris le mieux la profondeur de l’être. Il n’est pas humain… Ou plutôt si ! Au contraire, il a quelque de terriblement humain. Il arrive à nous donner un éventail total de l’être. Quand j’interprète Mozart sur scène, il est avec moi, je pense à lui. Toujours.

« Je fais aussi de la musique pour m’échapper du monde réel »

En fait, vous êtes déjà amoureuse de Mozart !
P. P. : Oui, c’est vrai, je suis amoureuse de lui. Mais c’est platonique ! (rires)

Et sur scène, vous est-il arrivé de tomber amoureuse ?
P. P. : Ce n’est pas vraiment « tomber amoureuse » mais cela m’est arrivé d’être totalement subjuguée par l’art d’un ou d’une partenaire musicale sur scène, d’être d’un seul coup complètement « avec eux ». Un sentiment d’osmose, de symbiose. La musique, c’est le rêve absolu. C’est une autre dimension, spirituelle, qui ouvre sur autre chose. Tout est à fleur de peau. Certaines choses essentielles de la vie se retrouvent dans des instants de la musique. Mais il ne faut pas rester sur cette extase car c’est dangereux. A ces moments-là, vous n’êtes plus dans une concentration unique, vous vous dédoublez, et alors vous pouvez vous fracasser. Tout d’un coup, vous êtes happé, aspiré, pendant 3 ou 4 secondes – c’est-à-dire une éternité lorsqu ‘on est sur scène !- par Mozart ou par quelque chose qui vous dépasse. C’est aussi pour ça que je fais de la musique, pour m’échapper du monde réel, toucher à la beauté.
Est-ce que cette extase de l’amour de la musique est plus grande que celle que l’on vit dans la vie réelle ?
P. P. : C’est différent. Il ne faut pas tout mélanger. Il est évident que maintenant que j’ai un petit garçon, je peux dire qu’il n’y a pas de plus grand amour que ça. Ça c’est l’amour absolu. Avec la musique, on est dans une autre dimension qui n’est pas charnelle. Le plus grand défi, c’est la vie réelle…

Propos recueillis par Jean Lukas.

Nouveauté : « Amoureuses », Patricia Petibon (soprano), Daniel Harding (direction), Concerto Köln (chez Deutsche Grammophon).
 
Vendredi 19 décembre à 20h30 à la Salle Gaveau. Tél. 01 49 53 05 07 Places : 20 à 55 €.

Lundi 22 décembre à 21 h à la Galerie des Glaces du Château de Versailles (78). Tél. 01 30 83 78 89. Places : 10 à 75 €.

A propos de l'événement




A lire aussi sur La Terrasse

  • Danse - Gros Plan

8ème édition du Sobanova Dance Awards #8, tremplin pour la jeune création chorégraphique

Plus de dix ans que l’association Sobanova [...]

Le vendredi 3 mai 2024
  • Jazz / Musiques - Gros Plan

Le Châtelet fait son jazz, deuxième édition

Après une première édition l’an passé, le [...]

Du mercredi 22 mai 2024 au 27 mai 2024
  • Jazz / Musiques - Gros Plan

Laurent de Wilde fait le tour de son monde

À l’occasion du festival Le Châtelet fait son [...]

Le samedi 25 mai 2024