Théâtre - Critique

Orlando d’après Virginia Woolf, mis en scène de Katie Mitchell

Orlando d’après Virginia Woolf, mis en scène de Katie Mitchell - Critique sortie Théâtre Paris L’Odéon-Théâtre de l’Europe


d’après Virginia Woolf / Mes Katie Mitchell

Pour Christine, puis Le papier peint jaune, Katie Mitchell, déjà, avait inventé ce dispositif de théâtre-cinéma, virtuose, conduisant la scène à produire un film en direct. De même, dans Orlando, peut-on voir au plateau se développer une chorégraphie, un ballet même, millimétré, assez fascinant, mêlant acteurs et actrices, irréprochables, cameramen, perchiste et accessoiriste, qui fait naître sur l’écran disposé au-dessus du plateau un film d’une esthétique remarquable. Le récit est pris en charge par une  narratrice, formidable elle aussi dans son talent à faire entendre l’ample phrasé de Woolf, postée dans un cube vitré en surplomb, qui via son écran de contrôle ajuste le rythme de son récit, des morceaux clés du roman à celui de la scène. Les bruitages et la musique en sourdine permettent au final de composer sur l’écran et en direct un film superbe, aux cadrages saisissants – on pense parfois à Barry Lindon – entrecoupé tout de même par endroits de passages préenregistrés. Le théâtre, ou peut-être plutôt la théâtralité, y perd quand même – peu de dialogues, un rythme hâché vu la rapide succession des plans, et surtout un dispositif technique qui obstrue sans cesse le champ de vision du spectateur et détourne son regard vers l’écran posté en hauteur. La nécessité de lire les sous-titres d’une histoire largement prise en charge par la narratrice, qui lit en allemand, n’y est pas étrangère non plus. Le cinéma, lui, à la fois y gagne et y perd en magie – de quelle réalité naissent ces plans, s’étonne-t-on régulièrement, tant les images, les atmosphères que crée Katie Mitchell sur l’écran peuvent être travaillées, stylisées, cinématographiques en somme, alors qu’elles naissent de ce qui demeure une irréductible simplicité du plateau.

Le style et l’humour de Virginia Woolf

Au-delà de ces questions de scène et d’image, c’est bien la littérature que Katie Mitchell décide de servir ici. Naturellement, cet Orlando taille dans la masse du roman, mais il donne quand même à entendre le style ample et lyrique de Virginia Woolf, et aussi un humour qu’on lui connaissait moins. Le héros éponyme de son roman y traverse les genres – il naît homme puis devient femme – mais aussi les siècles, les époques et les mœurs changeantes qui les accompagnent. Né sous l’ère élisabéthaine, où il séduit une reine à la poitrine insolente, on le suit, on la suit jusqu’aux années 1920 que Katie Mitchell prolonge par la grâce de ses images jusqu’à nos jours. Traversant les années sans vieillir vraiment et sans rien perdre de sa capacité à charmer hommes et femmes, il subit cependant, en passant du côté du sexe faible, les affres de la société patriarcale que Woolf dénonce en s’en amusant. « Ecris », se répète Orlando comme un mantra, comme seul horizon susceptible d’assurer une cohérence à une vie si longue et, disons-le, très dissolue. L’aspiration à une vie affranchie du carcan des règles morales se fait entendre. Il souffle dans cet Orlando un air de liberté, une fantaisie, une grâce légère dans le dispositif, qui sèvre quand même le spectateur d’une certaine vitalité théâtrale.

Eric Demey

 

A propos de l'événement


Orlando
du vendredi 20 septembre 2019 au dimanche 29 septembre 2019
L’Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l'Odéon, 75006 Paris.

Du 20 au 29 septembre, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Tel : 01 44 85 40 40. Durée : 1h50.


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