La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Mère Courage

Mère Courage - Critique sortie Théâtre
Photo : Sylvie Herbert interprète une Mère Courage emblématique des « pauvres gens » subissant leur destin.

Publié le 10 avril 2008

Une judicieuse mise en scène de la prison du monde en temps de guerre, qui s’empare de l’héritage de Brecht pour en souligner les tensions.

Une blancheur brute, intemporelle : c’est ce qui frappe d’abord le spectateur. Une blancheur qui recouvre sol, murs et carriole, et signifie de judicieuse façon la prison du monde, un monde lisse, uniforme, sans aspérité, dans lequel les personnages, « les pauvres gens », tentent de survivre malgré les conditions imposées par la guerre, ne sachant pas vraiment à quoi se raccrocher, sans aucune possibilité de dépasser leur infortune. D’emblée, la mise en scène affirme donc une idée chère à l’auteur : l’incapacité pour les protagonistes d’appréhender et de comprendre un tel monde, fondé sur la lutte entre les êtres, qu’elle soit économique ou militaire. La cantinière Anna Fierling et ses trois enfants, le téméraire Eilif, l’honnête Petitsuisse et la muette Catherine, que la guerre va lui prendre un à un, parcourent ainsi les routes en vivant du commerce. La Courage « apprend aussi peu de la catastrophe que le cobaye apprend sur la biologie », a dit Brecht, se montrant très dur envers son héroïne ! Quelques pathétiques accessoires ne font apparaître l’existence que plus fragile et plus dérisoire, telles les bottines rouges d’Yvette (Frédérique Lazarini) qui font rêver la fille de Courage. La pièce, rédigée en exil en 1938, commence en 1624, et s’achève en 1636, alors que la Guerre de Trente ans (1618-1648) est loin d’être finie.
Une Courage emblématique de tous ces gens broyés par leur environnement
Les didascalies s’inscrivent sur le plateau même, une façon de rendre hommage à un héritage prestigieux, hommage que l’on retrouve à travers les chants enregistrés en allemand, et une photo d’Hélène Weigel que l’on voit au début de la représentation. Le contexte historique et esthétique de la pièce étant ainsi reconnu à sa juste mesure, il n’en devient pas pour autant sclérosant. Anne-Marie Lazarini prouve ici, quelque 60 ans après sa création par le Berliner Ensemble, que la pièce garde intacte toute sa puissance dramatique, et surtout toute son ironique tristesse. Au cœur de ce conflit armé meurtrier, dont les dates précises n’empêchent en rien la portée universelle, Sylvie Herbert – qui a connu de nombreuses aventures théâtrales avec la metteure en scène – interprète une Courage emblématique de tous ces gens broyés par leur environnement. Une femme ordinaire, sans grandeur, pétrie de contradictions, croyant tirer profit de la guerre jusqu’au bout, malgré la disparition de ses enfants, rusée et naïve à la fois, rarement tendre, pestant souvent contre son destin, mais sans pouvoir en changer le cours, désirant vivre envers et contre tout. C’est bien là que la mise en scène touche un nerf ; sans jouer la carte du pathos, ou du réalisme, le spectateur est invité à réfléchir sur notre ordinaire humanité ballottée entre déterminisme et liberté ( illusion ? ).
Agnès Santi


Mère Courage et ses enfants de Bertolt Brecht, mise en scène Anne-Marie Lazarini, jusqu’au 27 avril, lundi, vendredi et samedi à 20h30, mardi à 20h, mercredi et jeudi à 19h, dimanche à 16h00, au Théâtre Artistic-Athévains, 45 bis rue Richard-Lenoir, 75011 Paris. Téléphone : 01 43 56 38 32.

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