Théâtre - Critique

Mademoiselle Julie

Mademoiselle Julie - Critique sortie Théâtre


Une paire de bottes. Droites, arrogantes. Cavalièrement dressées dans la superbe de leur mise impeccable, lustrées par un halo de lumière, à l’avant-scène. Inamovibles insignes du pouvoir du comte, à la fois respectés et convoités par son valet Jean, fiers totems de la domination paternelle et masculine, à la fois exécrée et désirée par sa fille Julie. Témoins muets d’une nuit noire où l’existence bascule… Voilà condensé en une image l’un des enjeux de la pièce de Strindberg, qui broie désirs, ordre social, honneur et ambition en une poudre si puissante qu’elle ébranle les sens et l’esprit jusqu’au vertige. Car la tragédie de Mademoiselle Julie n’est pas de s’être offerte à son domestique, entraînée par l’alcool d’une nuit de la Saint-Jean enfiévrée. Non, elle est de ne pas pouvoir assumer son acte, de rêver de grandeur d’âme et de se lier aux mâles visées d’un boutiquier, de se griser d’idéal quand l’époque exige ruse et pragmatisme. Seul l’amour aurait pu anoblir ce geste et masquer sous son voile sublime les visages griffés par la contradiction. « Quelle horrible puissance m’a poussée vers vous ? La faiblesse attirée par la force ? Celle qui tombe vers celui qui monte ! Ou était-ce l’amour ? L’amour, ça ? Vous savez ce que c’est, l’amour ? » s’écrie-t-elle. L’amour ? Une dévoration, un jeu de domination-soumission, une guerre des sexes qui s’attirent et se repoussent…
 
Une lutte chargée d’ambiguïtés et d’hésitations
 
Femme éprise d’indépendance, marquée par un roman familial complexe, Julie frappe du pied sa révolte bravache contre le patriarcat mais s’effare dès que murmure le qu’en dira-t-on, mais s’affole comme une enfant abandonnée dès que son identité sociale menace de céder. Lui cherchait à s’élever grâce à leur union, elle a jeté son orgueilleuse détresse dans ses bras. L’étreinte scandaleuse a bouleversé l’ordre établi. « Je ne veux plus rester dans cette maison ; si on ne peut même pas respecter ses maîtres ! » lance Christine, la cuisinière, troisième personnage de ce huis clos. Pourtant, tous restent prisonniers des schèmes mentaux, s’y cognent et s’y abîment, violemment. Sans doute est-ce là la portée subversive de la pièce, écrite en 1888. Jacques Vincey en décante toute l’essence, forte et amère. Il écarte naturalisme et sentimentalisme, qui réduiraient à l’anecdote ce fait divers cynique, pour pénétrer dans un espace mental, là où s’affrontent à poings nus les forces contraires de chaque être. Structurée par la scénographie, qui place la cuisine, lieu confiné du drame, dans un castelet suspendu à mi-hauteur, la mise en scène fendille toute interprétation monolithique et tient l’équilibre entre abstraction et jeu incarné. Julie Delarme (Julie), belle, hardie, tantôt carnassière, tantôt pitoyable ingénue, et Vincent Winterhalter (Jean), tout à la fois vaniteux, l’échine courbée et vil calculateur, donnent corps à cette lutte chargée d’ambiguïtés et d’hésitations, sous le regard de Cécile Camp (Christine), observatrice impitoyable. Déchirés entre honte et mépris, répulsion et attirance, haine et fascination, ils sont tour à tour bourreau et victime, maître et esclave. Sans rédemption.
 
Gwénola David
Mademoiselle Julie, de Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Jacques Vincey du 19 au 21 janvier à la Scène nationale de Sénart-La coupole. Rens 0160345360. www.scenenationale-senart.com.

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