Théâtre - Critique

Les névroses sexuelles de nos parents

Les névroses sexuelles de nos parents - Critique sortie Théâtre


« Je suis toujours triste, sauf quand je baise » lance Dora d’un coup sec, tranquillement. Depuis qu’elle a rompu la « camisole chimique » qui ligotait ferme ses dérèglements psychiques, les mots tranchent net l’artificielle docilité de son tempérament troublé. Et les rets des bienséances avec. Durant des années, elle a vécu sous l’emprise des tranquillisants qui réprimaient toute effusion intempestive. Normalisaient l’anormal. Jusqu’à ce que sa mère demande l’arrêt du traitement pour retrouver la personnalité de sa fille. La voici alors qui tombe sous la coupe d’un inquiétant « Monsieur délicat », violeur et vendeur de parfum à la sauvette. Mais Dora s’éveille et découvre la vie par le corps, par le cul, par la fusion brutale en l’autre, avec l’avidité naïve et sauvage d’un instinct encore libre des censures édifiantes et des mœurs policées. Elle dit, fait, questionne selon ses désirs, selon les cahots d’un inconscient à cœur ouvert, comme une plaie béante. Violente et fragile. Avec ce langage bien à elle qui entrelarde fraîcheur poétique et vérités crues, elle révèle et renvoie en pleine face les interrogations, les fantasmes, les interdits et les pratiques sexuelles des adultes. Subvertit la norme. Malgré elle et contre elle.

Personnage pasolinien au féminin

« Comme artiste je ne m’intéresse pas aux raisons. Je me soucie de la manière, du comment des choses et non du pourquoi, j’adopte le rôle de l’observateur. » dit Lukas Bärfuss. L’auteur Suisse allemand livre ici la chronique de cette confrontation entre un être « déviant » et la société, qui amènera médecin et parents, bourgeois plutôt libéraux au demeurant, à ligaturer définitivement les conséquences d’une sexualité incontrôlée, c’est-à-dire la maternité. Sans ériger Dora en victime ni en sainte, sans désigner de bourreaux. Hauke Lanz opte pour une lecture psychanalytique, entendant peut-être en échos lointains « Le cas Dora » de Freud. Il semble observer ce monde à travers le regard et les sensations de la jeune fille pathologique. Autour d’elle (subtile Laure Wolf, tout à la fois enfantine et butée, candide et perdue), Frédéric Leidgens, Pierre Maillet et Murielle Martinelli endossent tour à tour avec agilité les différents personnages, dévoilant les jeux d’identités instables, l’ambivalence des pulsions, les lisières floues entre réel et projections fantasmatiques. Structuré comme un univers mental encombré d’objets symboliques, le plateau se métamorphose au gré des manipulations de cercueils beiges et de mannequins, qui deviennent décor des multiples lieux du drame. Si le rythme se dilue encore dans l’espace, si certaines idées restent laborieuses dans la réalisation, cette mise en scène engagée fait entendre toute la cruelle drôlerie du texte et la violence insidieuse de la « normalité ».

Gwénola Davidwww.theatre-paris-villette.com. Durée 1h40. Texte publié dans la traduction de Bruno Bayen aux Editions de L’Arche.


Les névroses sexuelles de nos parents, de Lukas Bärfus, traduit de l’allemand par Pascal Paul-Harang version scénique de Hauke Lanz et Marc Moreigne, mise en scène de Hauke Lanz, jusqu’au 14 mars, à 19h30, sauf mardi et vendredi à 21h, relâche dimanche, au Théâtre Paris-Villette, 211, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Rens. : 01 42 02 02 68 et

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