La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2010 Entretien / Jean-Michel Djian

L’échec de la démocratisation culturelle

L’échec de la démocratisation culturelle - Critique sortie Avignon / 2010
Crédit photo : © C. Hélie / Ed. Gallimard

Publié le 10 juillet 2008

Journaliste et universitaire, Jean-Michel Djian est titulaire d’un doctorat en sciences politiques consacré à l’Innovation culturelle et l’État. Auteur de Politique culturelle : la fin d’un mythe*, il dénonce les carences de l’éducation artistique et la bureaucratisation des institutions culturelles françaises.

Quel est le mythe culturel dont vous signalez la fin dans votre ouvrage ?
Jean-Michel Djian : Le mythe d’une culture conçue comme une voie d’épanouissement individuel et citoyen. Ce mythe doit beaucoup à André Malraux qui, par son charisme et son verbe, a réussi à installer en France une sorte de foi dans le paradigme de la culture. Mais il y a une quinzaine d’années, à la fin du XXème siècle, on s’est aperçu que la démocratisation culturelle avait échoué, que l’Etat n’avait ni les moyens ni la véritable volonté de traduire cette belle aspiration dans la réalité. On a constaté que l’augmentation des budgets alloués aux différentes formes d’expression artistique n’avait pas réglé le problème de l’accès à la culture des classes populaires. Bien sûr, un certain nombre d’institutions culturelles a été créé – et on ne peut que s’en réjouir – mais il faut bien admettre que si l’on regarde les choses en profondeur, ce sont essentiellement les publics déjà cultivés qui ont profité de cette offre supplémentaire.

Quelles sont, selon vous, les raisons de cet échec ?
J.-M. D. : La principale est sans doute que pour parvenir à démocratiser l’accès à la culture, il ne suffit pas de créer et de rendre accessibles de nouvelles propositions artistiques, il faut également former de nouveaux publics. Et cette formation doit passer par l’école. Tant que notre pays ne disposera pas d’une éducation artistique de haute volée, on ne réussira pas à amener de nouveaux publics vers la culture. Il est en effet assez désolant de se rendre compte que l’offre en matière de spectacle vivant n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui, mais qu’elle ne profite qu’à un petit milieu de privilégiés. Comme l’a analysé Pierre Bourdieu, plus on est structuré dans sa pensée, plus on a les moyens de choisir parmi une offre artistique complexe. Et quand on ne se sent pas les moyens de choisir, on reste chez soi. Ainsi, le vrai problème de la démocratisation culturelle, c’est l’école. Les enfants des classes populaires sont dépossédés des outils de compréhension de l’offre artistique, car le milieu éducatif ne les enseigne pas.

« Le vrai problème de la démocratisation culturelle, c’est l’école. Les enfants des classes populaires sont dépossédés des outils de compréhension de l’offre artistique, car le milieu éducatif ne les enseigne pas. »

Comment expliquez-vous que notre société ne se donne pas les moyens de remédier à ces carences ?
J.-M. D. : Il me semble qu’aujourd’hui l’idéal de cette démocratisation a disparu. Les politiques n’y croient plus vraiment. D’une certaine façon, ils entérinent les évolutions d’une société dans laquelle les pratiques culturelles de la population s’individualisent. Le règne de la télévision et d’Internet a favorisé l’émergence d’un champ culturel consumériste dénué de tout esprit critique. De plus, la vie artistique française souffre d’une bureaucratisation excessive de ses institutions et, en particulier, du ministère de la culture. Selon moi, le principal écueil de ce ministère réside dans son incapacité à sortir de la réglementation pour aller vers une humanisation de la vie artistique. Ce phénomène s’est accru durant les dernières années du XXème siècle, les militants ayant peu à peu laissé leur place à des bureaucrates.

De votre point de vue, cette évolution est-elle due à un éloignement de la classe politique vis-à-vis de la culture ?
J.-M. D. : En partie. Nous vivons, depuis quelques années, dans un environnement politique qui est loin de mettre en avant l’idée selon laquelle l’art peut amener l’individu à regarder le monde à travers un regard se situant hors des certitudes. Nos dirigeants politiques ont quasi tous été formés dans des écoles valorisant des logiques de rapidité, de productivité, de compétitivité, logiques qui se révèlent assez éloignées du champ de la vitalité culturelle et intellectuelle, de l’aspect irrationnel du milieu artistique. Longtemps, la culture a représenté pour le pouvoir ce que le bouffon représentait pour le roi : une zone de désordre et de désobéissance au sein d’un régime soumis à l’ordre. Mais aujourd’hui, le système est tellement réglementé qu’il n’y a plus aucune place pour le désordre. Il faudrait réinjecter de l’humain et de l’expérience artistique dans les processus de décision publique liés au domaine culturel.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

 

* Editions Gallimard, collection Folio actuel, 2005.

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