Théâtre - Critique

Le Roi Lear

Le Roi Lear - Critique sortie Théâtre


« Malheureuse que je suis, je ne peux hisser mon coeur jusqu‚à ma bouche. J’aime votre Majesté comme je le dois, ni plus ni moins. » Voilà, quelques mots, presque « rien », et Cordélia, la cadette de Lear, sa préférée, a scellé son destin aux fers sanglants du malheur. « Rien » et l’univers de celui qui possède tout se fend comme une plaie et sombre dans le chaos. Aveuglé par l’orgueil, le roi se confond avec sa fonction, il descend du trône et veut rester monarque. Il a voulu monnayer son royaume entre ses trois filles au son trébuchant des verbeuses ambages de l’amour. Cordélia refuse le mensonge et le vil concours de piété filiale. Ce souverain qui ne se sait pas homme devra apprendre à vivre sans la cuirasse de ses cent chevaliers, découvrir l’intelligence veule des êtres appâtés par le pouvoir, la corruption du vrai par les illusions du coeur, la violence abjecte de la concupiscence. Jean-François Sivadier, artiste associé au TNB, entend dans les jointures de ce chef-d’œuvre arpenté depuis quatre siècles l’écho d’une réflexion sur le théâtre et la représentation. Lear ne doit-il pas différencier son corps politique, immortel, et son être intime, sensible, vulnérable ? « Tout comme il y a d’un côté le corps de l’acteur et de l’autre le rôle qu’il incarne ». Pourquoi pas. Joyau taillé dans l’âme humaine, Le Roi Lear échappe sans cesse aux rets de l’exégèse pour révéler des éclats insoupçonnés.

Aller à la rencontre de soi-même

Jean-François Sivadier et sa bande (beaucoup sont des fidèles, formés comme lui auprès de Gabily) s’emparent donc de cette oeuvre monstre à leur manière : avec vorace appétit et belle énergie. Non pour livrer une réponse mais explorer les possibles, en actionner les ressorts, comme des gosses galvanisés par l’étonnement et le plaisir du jeu. Par méfiance, peut-être, du pathos, le metteur en scène hisse le Roi Lear, « éternel bouffon de la fortune », sur des tréteaux et craquelle le tragique sous le sel de la dérision, s’appuyant sur la traduction gaillarde de Pascal Collin, qui dégomme toute fioriture et tance du tac au tac. Il affirme la théâtralité et montre la machinerie à l’oeuvre : un plateau de bois mobile, quelques poignées de farine pour figurer l’outrage du temps, des traînées de poudre rouge pour le sang, des armures de pacotille, des masques de commedia dell’arte, des femmes jouant des hommes et inversement. Nicolas Bouchaud, la quarantaine robuste et la verve aiguisée, donne un Lear échevelé, furieusement combatif, nargué par une Norah Krief extraordinaire, tantôt ingénue Cordélia, tantôt malicieux lutin qui campe un fou vertement insolent. Ce réjouissant duo clownesque entraîne toute la troupe dans les méandres de la fable. Manque pourtant quelque chose dans ce monde de théâtre aux accents forains. Le tragique justement, qui nervure toute la pièce, l’enjeu de cette expérience initiatique, la perte d’identité, l’épreuve du manque, le cheminement vers le dépouillement, vers la sagesse. La fêlure qui ferait résonner les mots au creux du coeur.

Gwénola David


Le Roi Lear, de Shakespeare, traduction de Pascal Collin, mise en scène de Jean-François Sivadier, du 15 septembre au 27 octobre 2007, au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre. Rens. 01 46 14 70 00 et www.nanterre-amandiers.com. Spectacle vu au Festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur. Texte publié aux Editions Théâtrales. Durée : 4h.

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