Théâtre - Critique

Le Bal de Kafka

Le Bal de Kafka - Critique sortie Théâtre


Souvent les résonances et le lien mystérieux qui unissent la vie d’un auteur à son œuvre fascinent. Dans le cas de Kafka, écrivain majeur du XXe siècle, ce lien interpelle particulièrement parce que Kafka correspond de façon évidente – peut-être trop évidente ! – à l’idée qu’on se fait d’un artiste souffrant, solitaire, voire inadapté au monde, envisageant la création littéraire comme un acte de survie, et aussi parce que Kafka renvoie malgré lui à tout un monde juif disparu. La pièce de l’australien Timothy Daly interroge ces visions convenues de l’écrivain, les contextualise et les dramatise avec un humour attachant et décapant, en s’inspirant au plus près du Journal de l’auteur. Récurrente dans la pièce, une phrase de La Métamorphose que l’écrivain lit devant sa famille indifférente… L’œuvre crée un univers drôle et émouvant où les personnages de la pièce – Franz, son père Hermann, sa mère Julie, sa sœur Ottla et sa fiancée Félice – se muent par intermittence en acteurs de théâtre yiddish, d’une énergique véhémence, donnant des leçons à un Franz bégayant et effacé. Un personnage tragi-comique, en proie à maintes difficultés : avec le père, le mariage, les autres, son identité, sa condition d’artiste, et la maladie. « Un écrivain incapable d’écrire, un Juif incapable de croire, et, surtout, un être humain incapable de vivre ».

Pathétiques et grandioses acteurs de théâtre yiddish
Cette double famille – réelle et théâtrale – donne lieu à de formidables jeux de rôles, à des glissements savoureux et grinçants entre rêve et réalité, entre fantasmes et quotidien, tout en questionnant fortement les notions d’identité et de création. Isabelle Starkier et ses interprètes jouent sur ces divers registres avec un talent consommé, un sens dramatique précis et allègre, et le quintet  passe joyeusement et sans cassure d’une intimité faussement réaliste au grotesque le plus débridé, teinté d’expressionnisme. La mise en scène propose de multiples distorsions, costumes légèrement déformés, masques maquillés pour les acteurs, et une table inclinée, bancale, avec trappe, tournant au fil des scènes. Une scénographie efficace et ingénieuse, où l’aspect exposé et bancal assume pleinement l’idée de représentation, avec un côté pathétique et grandiose chez les acteurs juifs ! Le théâtre et le burlesque éclairent ici le personnage de Kafka sous un jour nouveau, à la fois jubilatoire et incisif.
Agnès Santi

Le Bal de Kafka de Timothy Daly, traduit par Michel Lederer, mise en scène Isabelle Starkier, du 13 février au 15 mars, du mercredi au samedi à 20H30, dimanche à 17H, relâche les 7 et 8 mars, les 14,15,21,22 février et les 13 et 14 mars, représentations supplémentaires à 14H, au Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 40 44 44.

A propos de l'événement




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