Avignon - Critique

La quintessence de Wozzeck par Simon McBurney et Simon Rattle

La quintessence de Wozzeck par Simon McBurney et Simon Rattle - Critique sortie Avignon / 2023 Aix-en-Provence Grand Théâtre de Provence


FESTIVAL D'AIX EN PROVENCE / GRAND THEÂTRE DE PROVENCE / OPERA MIS EN SCENE

La pénombre nébuleuse des ondulations vidéo sur le rideau, avant son lever et les premières notes, signale au spectateur qu’il va vivre le drame dans la tête de Wozzeck. À vrai dire, ce bref prologue muet et visuel n’est guère indispensable pour être happé par l’errance hallucinée, quasi célinienne, jusqu’au bout de la nuit de l’anéantissement social et moral du personnage de Büchner. Articulée par une tournette concentrique accompagnant le perpétuel mouvement des protagonistes dans l’irréel mental, la scénographie quasi nue de Miriam Buether, avec un chambranle de porte vitrée figurant l’entrée dans un laboratoire ou une taverne, développe une grammaire onirique. Dans la saynète avec Andres, les lumières de Paul Anderson sculptent des ombres d’un paysage de tranchées : l’opéra de Berg comme le premier roman de Céline se rejoignent dans la métabolisation du choc de la guerre. L’habillage vidéo de Will Duke, habilement dosé, transforme les parois en façades d’immeubles aux regards oppressants, tandis que des bras sortent des murs pour rattraper Wozzeck dans la forêt où il tente d’échapper à son crime et à son remords. À la manière d’un épilogue qui annihile l’espace du délire, la dernière scène est réduite à l’avant du plateau, et dans un transfert générationnel du trauma, c’est le fils du Capitaine qui chante les onomatopées du fils de Marie jouant à la balle, frappé d’hébétement autiste.

Un Wozzeck d’anthologie

La précision des textures scénographiques affirme une puissance poétique qui n’a d’égal que le cisèlement chambriste de la direction de Simon Rattle. À rebours des extraversions expressionnistes, les pupitres du London Symphony Orchestra déploient, avec une concentration intime et un exceptionnel fini du dessin, les alchimies de timbres, de motifs et citations, d’une partition que le chef britannique fait sonner avec une intelligibilité exceptionnelle – pour mieux faire ressortir les déflagrations de violence. Autour du rôle-titre incarné par Christian Gerhaher, avec un refus de toute emphase qui est la clef de l’empathie suscité auprès du spectateur, chaque caractérisation vocale se révèle d’une justesse idéale. Les raucités qui zèbrent le lyrisme de Malin Byström soulignent la vulnérabilité de Marie. L’éclat mordant de Thomas Blondelle condense la suffisance du Tambour-major. Le Capitaine claironné par Peter Hoare et l’apparition d’Andres par Robert Lewis résument en quelques notes des archétypes, de même que les basses profondes de Brindley Sherratt un Docteur imperturbable de sadisme, ou encore l’aguicheuse Margret campée par Héloïse Mas. Jusque dans ses moindres détails, avec des interventions chorales calibrées avec soin, ce Wozzeck se révèle d’anthologie.

Gilles Charlassier

A propos de l'événement


Wozzeck
du vendredi 7 juillet 2023 au vendredi 21 juillet 2023
Grand Théâtre de Provence
380 av. Max Juvénal, 13100 Aix-en-Provence

à 20 heures. Durée : 1h40. Tél : 08 20 67 00 57


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