La puissance hallucinée des Soldats de Zimmermann, direction François-Xavier Roth

Créé en 1965 à Cologne, l’unique opéra de Zimmermann, Les Soldats, est une œuvre exigeante en moyens – et de ce fait rarement donnée – qui résume l’esthétique dite pluraliste du compositeur allemand, superposant les citations et les strates temporelles. À rebours d’une conception linéaire de la dramaturgie, certaines scènes sont ainsi jouées en simultané, renouvelant ainsi la compréhension du destin funeste de Marie, fille de commerçant séduite par des aristocrates avant d’être réduite à la mendicité. Si dans le drame de Lenz, la figure de la femme, victime de rêves d’ascension sociale, peut rejoindre les illusions et déceptions d’une Manon, dans le roman de l’abbé Prévost, la noirceur de l’édification morale est relue par Zimmermann à l’aune de la sidération post-1945, alors que la guerre froide menaçait de dégénérer.

Une puissante œuvre-synthèse

Dans une sorte d’épitomé avant l’apocalypse de l’histoire musicale, l’écriture balaie tous les spectres stylistiques, de Bach au jazz et au dodécaphonisme, et toute la palette de la voix, du chant lyrique à la déclamation, du cri au chuchotis, avec orchestration pléthorique, électronique et moult percussions. A la tête de son Orchestre du Gürzenich de Cologne, François-Xavier Roth s’attachera, avec son mélange de clarté analytique et de quintessence expressive, à restituer la lisibilité de ce foisonnement puissant et singulier, avec un plateau de pas moins d’une vingtaine de solistes. Calixto Bieto, qui avait signé en 2014 pour la Komische Oper de Berlin et Zürich, réglera la scénographie de ce concert, qui, outre la première à Cologne, fera également étape à l’Elbphilharmonie de Hambourg.

Gilles Charlassier