Théâtre - Critique

La Pierre

La Pierre - Critique sortie Théâtre


1993, quelque part dans l’Allemagne qu’on disait naguère de l’Est. Whita, sa fille Heidrun et sa petite-fille Hannah retrouvent la maison de famille après quarante ans d’exil à l’Ouest. La réunification et les lois de restitution leur ont rendu ce bien. Le passé git tranquillement, rangé sous les draps opaques du présent, attendant que le quotidien reprenne son cours. A peine tentent-elles de s’installer que les ombres d’hier maraudent alentour, s’échappent de l’hagiographie officielle, bientôt cognent au visage et s’enfoncent au cœur des fissures du souvenir, jusqu’à faire éclater les jointures du temps et libérer les éclats d’existences en quête de leurs histoires. Les images resurgissent par fragments, vacillent entre les années, de 1993 à 1935, quand Whita et son époux Wolfgang rachetèrent cette belle demeure à des Juifs bannis par les lois de Nuremberg, de 1945 lors de la mort de Wolfgang en pleine déroute allemande à 1953 au moment de la fuite à l’Ouest ou encore à 1978, lors d’une visite impromptue pour revoir la maison devenue logement communautaire. Peu à peu, la bâtisse livre ses secrets et dévoile les indices ignominieux d’une réalité soigneusement cachée derrière le glorieux cliché d’une résistance héroïque.
 
Comment construire une vie sur le mensonge ?
 
Whita a bâti une légende à force d’omissions et de fabulations, plâtrant à la va-vite de « menus » mensonges pour répondre aux pourquoi de sa fille Heidrun, la protéger, pour oublier aussi et faire face à l’avenir. Voilà maintenant que s’écaille le brillant vernis qui lissait le passé, qu’il va falloir assumer… Né en 1972, Marius von Mayenburg pose pour aujourd’hui la question de la mémoire d’un pays, d’un peuple, de son poids dans la construction de l’identité individuelle et collective. Il ne brosse pas une fresque historique mais explore l’histoire à travers trois générations de femmes. Il fouille les cauchemars de Whita, les illusions d’Heidrun, mais surtout le regard d’Hannah, turbulente ado qui hérite de cette « pierre » malgré elle. L’auteur allemand bouscule la chronologie, enchevêtre les temps comme autant de scènes enfouies, refoulées, qui soudain se rappellent à la mémoire. Il montre des êtres aux prises avec la vie, ni franchement salauds, ni vraiment innocents, simplement composant avec leurs ambitions sociales, leurs exigences et leur déni de la vérité. Sans juger ni pour autant éluder les responsabilités. Bernard Sobel met en scène cette pièce chorale comme l’espace mental de Whita, orchestrant les glissements de temporalités par un ciel de chiffres en néons qui marquent les ans. Efficace, la dramaturgie délivre tous les thèmes cousus au revers des mots. Edith Scob, agitée au risque de forcer vers l’hystérie démonstrative, l’inquiétante Anne Alvaro, l’impétueuse Priscilla Bescond, l’anxieuse Claire Aveline, la dérangeante Anne-Lise Heimburger et l’hésitant Gaëtan Vassart portent ensemble la partition. Reste encore à ajuster un peu les voix pour que la musique advienne.
 
Gwénola David

La Pierre, de Marius von Mayenburg, traduction de René Zahnd, mise en scène de Bernard Sobel, du 22 janvier au 17 février 2010, au Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris. Rens. 01 44 62 52 52 et www.colline.fr. Texte publié aux éditions de L’Arche. Spectacle créé et vu au Théâtre Dijon-Bourgogne. Durée : 1h15.

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