Théâtre - Entretien

La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, mise en scène d’Aurélien Bory

La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, mise en scène d’Aurélien Bory - Critique sortie Théâtre Paris Les Bouffes du Nord


de Jean-Philippe Toussaint / mes Aurélien Bory

Aurélien Bory, vous qui développez un langage du corps et de l’espace, à la croisée des disciplines – le cirque et la danse, en particulier –, comment en êtes-vous venu à travailler avec Denis Podalydès, un pur homme de théâtre ?

Aurélien Bory : Je crois que les meilleures idées naissent souvent d’une collision, et c’est un peu ainsi que s’est formée celle de La Disparition du paysage. Pour commencer, l’écrivain Jean-Philippe Toussaint fait don d’un texte à Denis Podalydès, qui le lit et l’admire depuis longtemps. Il ne l’a pas publié, et fait comprendre à Denis qu’il ne le fera pas avant qu’il le joue. C’est alors que Denis, que j’aime énormément comme acteur et qui apprécie aussi mon travail, me demande de le rejoindre autour de la pièce qu’il imagine. Je lis le texte, le trouve magnifique et comprends très vite pourquoi il a pensé à moi. Le titre, déjà, semble fait pour moi : dans chacun de mes spectacles, j’ai la sensation de déployer un paysage, et la question de la disparition me poursuit. Celle de l’acteur, de l’espace…

La disparition dont il est question dans le texte est celle d’un homme qui ressemble fort à Jean-Philippe Toussaint. Quel type d’espace appelle cet effacement ?

A.B. : Plus qu’un espace, je dirais qu’il appelle une atmosphère. Dans cette autofiction, Jean-Philippe Toussaint place son personnage en train de mourir des suites d’un attentat – il a écrit ce texte juste après l’attentat de Bruxelles, où il vit – face à un paysage qui le renvoie aux origines de la vie. À travers une fenêtre, il contemple une plage d’Ostende, soit une étendue d’eau et de lumière, les deux éléments qui ont permis la vie. Quelle idée sublime. J’ai voulu lui rendre honneur en travaillant avec les éléments convoqués par le texte. À partir d’eau, de lumière et d’air, les membres de mon équipe habituelle que j’ai amenés dans cette aventure ont su créer un vrai brouillard. Une brume qui a de commun avec tous mes dispositifs d’être immaîtrisable. Et puis il y a une fenêtre. À son texte, Jean-Philippe Toussaint avait joint une photographie : celle de sa fenêtre à Ostende, dont il indiquait même les dimensions. Cela m’était destiné. La fenêtre est telle un théâtre : c’est un endroit d’où l’on regarde le monde. C’est ainsi que j’ai pensé la mienne.

« En tant qu’art vivant, le théâtre pose de manière particulièrement aigue la question de la mort »

 Que comprenez-vous de la nécessité pour Denis Podalydès à porter ce texte ?

A.B. : Je lui ai posé la question le premier jour des répétitions aux Bouffes du Nord. Pour entrer dans le travail, j’avais besoin de connaître ses motivations profondes, son désir d’homme et d’acteur. La réponse qu’il ma faite est superbe. Il m’a dit : « je vais te la faire ». J’ai installé une fenêtre devant lui, une chaise, et il s’est mis à dire le texte. Il le connaissait déjà. J’ai compris tout de suite l’enjeu que représentait pour lui cette pièce. En tant que comédien, il y poursuit un travail entamé depuis longtemps. La Disparition du paysage donne à voir, à sentir la mécanique de la pensée avec une intelligence et une force que j’ai rarement rencontré et qui intéresse particulièrement Denis. Cette pensée qui tâtonne, qui cherche, questionne l’art de l’acteur. C’est passionnant.

Quelle place occupent le corps et le jeu dans l’atmosphère que vous avez composée ?

A.B. : Comme dans le texte, Denis est devant la fenêtre, placée de manière à ce qu’il soit dos au public. Ce qui contredit l’art de l’acteur, et exprime la présence-absence à l’œuvre dans le texte. Pendant toute la pièce, le spectateur regarde ainsi quelqu’un qui regarde, comme cela arrive souvent dans la peinture, par exemple chez Velasquez. Cette pièce est un exercice du regard, auquel Denis participe avec sa manière incroyable de créer à chaque instant des contrastes et de rendre tout tangible. Car dans cette Disparition, tout doit être tout le temps sur le plateau. À commencer par la mort, qui est présente dans chacun de mes spectacles. En tant qu’art vivant, le théâtre pose de manière particulièrement aigue la question de la mort. La plus grande des énigmes irrésolues que nous passons notre vie à tenter de démêler, et qui nous déterminent bien plus que toutes nos certitudes.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

A propos de l'événement


La Disparition du paysage
du mardi 12 janvier 2021 au samedi 30 janvier 2021
Les Bouffes du Nord
37 (bis) bd de La Chapelle, 75010 Paris.

du mardi au samedi à 20h30, les samedis à 15h30. Tel : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com. Également du 10 au 20 mars au Théâtre National de Bretagne, du 23 au 25 mars à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, du 30 mars au 1er avril au Théâtre National du Luxembourg…


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