« Histoire(s) Décoloniale(s) #Mulunesh » de Betty Tchomanga

Rares sont les occasions d’être envieux de ce que traversent les collégiens et les lycéens actuellement. Betty Tchomanga a pourtant su créer spécialement pour eux ce moment hors du temps, intense et profond, conçu pour la salle de classe autour de l’histoire de Mulunesh. Interprète de la compagnie dans le précédent Leçons de Ténèbres, Mulunesh Tebebu s’appelle Adélaïde Desseauve. C’est ce que l’on découvre dans cette proposition parlée-dansée, où le corps dévoile ses transformations comme une traversée du miroir. En face-à-face, assise devant sa petite table d’écolier, elle offre par bribes son identité de petite fille née en Éthiopie, orpheline adoptée par une famille française. « Je suis Mulunesh », scande-t-elle à plusieurs reprises. Si elle prend soin de préciser que son pays natal est le seul pays d’Afrique à ne pas avoir été colonisé, son témoignage n’épargne rien des relations Nord-Sud, évoquées en filigrane à travers sa vie familiale.

Mulunesh au-delà d’elle-même

Son corps porte magistralement ce dialogue entre l’intime, la mémoire, et la grande Histoire. Ses tremblements, ses saccades, dévoilent un jeu d’épaules hérité de l’Eskista, une danse traditionnelle éthiopienne. Son visage lui-même participe de ce portrait à deux têtes, avec ses yeux saillants, son rictus, son double planté sur la tête comme une identité enfouie qui ne demande qu’à se révéler. Il y a comme une sorte d’exorcisme de soi dans cette mise en scène qui éclate ensuite en puissance déclamée par un solo de krump, danse de prédilection de Mulunesh. La petite femme frêle s’érige, toute de colère, de beauté, et d’affirmation de soi. La démarche de Betty Tchomanga est exemplaire en ce qu’elle parvient à dévoiler sans rien imposer, à parler de ce qui se joue au-delà de soi, à révéler au creux des histoires mêlées tous les espaces possibles de l’empathie, qui transpire ensuite délicatement dans la relation directe avec le spectateur.

Nathalie Yokel