Entretien Guy Pierre Couleau
Alarme dans la joie Le directeur de la [...]
Le directeur de la Comédie de Genève adapte L’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus d’Anna Seghers, avec, seule sur scène, la chanteuse lyrique Caroline Melzer.
Quels sont les aspects de la nouvelle qui vous paraissent les plus forts ?
Hervé Loichemol : Le traitement de la nostalgie et la construction du temps, intimement noués. La narratrice, exilée au Mexique, pas encore remise d’une grave maladie, n’a plus de goût pour quoi que ce soit, sinon une envie irrépressible de rentrer en Allemagne – retour au pays évidemment inenvisageable (le texte est écrit en 1943, il est partiellement autobiographique). Anna Seghers parle donc de la nostalgie. Et elle en parle pour ce qu’elle est, littéralement : la maladie du retour. Elle dit combien ce retour est désirable, et en même temps, l’impossible satisfaction de ce désir. C’est dans ce double mouvement que réside en grande part la force de ce texte. Par ailleurs, chez Anna Seghers, la nostalgie n’efface pas la distance, l’écart temporel, l’Histoire : l’origine n’est pas mythifiée. Au contraire, le temps s’inscrit dans une remémoration où Histoire, guerre, politique, morale, rendent compte du déchirement entre le présent de la catastrophe et un passé qui n’en portait pas les indices.
Comment caractériser cette écriture ?
H. L. : Anna Seghers fait preuve d’une délicatesse et d’une finesse admirables. Elle regarde le monde, les gens, les événements, avec respect, une forme d’objectivité, sans surplomb ni affectation. Elle leur rend justice. Cette qualité émeut, bouleverse. Et crée d’emblée un enjeu de théâtre : comment convertir, au plateau, cette justice de l’écriture en justesse du jeu ? Anna Seghers expose, avec une grande subtilité, un projet d’écriture qui apparaît, au cœur du texte, comme un moyen de répondre à une demande : le compte rendu qu’elle n’a jamais donné d’une journée d’excursion avec sa classe. Elle s’exécute des années plus tard, et sa réponse devient engagement politique. Ce texte n’est donc pas d’abord une élégie ou un succédané proustien, mais celui d’une militante qui n’oublie ni les enjeux du monde ni ceux de la littérature. C’est cette vertu de l’écriture, faite de grandeur et de modestie, que j’aimerais faire entendre.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
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