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Focus -335-À la Comédie de Béthune, Cédric Gourmelon signe la création française d’Edouard III : une pièce oubliée de William Shakespeare

Cédric Gourmelon révèle les accents hétérogènes d’Édouard III

Cédric Gourmelon révèle les accents hétérogènes d’Édouard III - Critique sortie  Béthune
© Romain Rousseau Le metteur en scène Cédric Gourmelon.

Entretien / Cédric Gourmelon
Texte William Shakespeare / mise en scène Cédric Gourmelon

Publié le 21 août 2025 - N° 335

Pour sa première mise en scène d’une œuvre de Shakespeare, Cédric Gourmelon a le singulier privilège de fouler une terre encore jamais explorée. Le metteur en scène révèle les accents hétérogènes d’Édouard III, une « pièce chevaleresque sur l’amour et la guerre ».

Comment avez-vous découvert l’existence de cette pièce méconnue de Shakespeare ?

Cédric Gourmelon : C’est André Markowicz — avec qui j’ai co-traduit Édouard II, une pièce de Christopher Marlowe que j’ai mise en scène en 2008 — qui m’a pour la première fois parlé d’Édouard III. Il m’a raconté l’histoire étrange de cette pièce qui relate la vie du fils d’Édouard II, m’informant qu’elle n’était pas encore traduite en français et qu’elle était, même, presque inconnue en Angleterre.

Cela parce que l’identité de son auteur a longtemps fait débat…

C.G. : Exactement. Ce n’est que récemment, au début des années 2010, que les éditions d’Oxford et de Cambridge, qui sont les deux références mondiales validant la paternité des œuvres de Shakespeare, ont toutes deux intégré Édouard III dans leurs corpus des œuvres complètes du dramaturge. J’avais un peu oublié cette pièce lorsque je suis tombé dessus, par hasard, en me plongeant dans une édition récente de La Pléiade. La traduction en français était co-signée par Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Vincent. J’ai eu un véritable coup de foudre pour ce texte. J’ai immédiatement eu envie de le mettre en scène. Mais j’étais un peu méfiant. Je me suis dit qu’il était un peu étrange que personne ne connaisse son existence. J’en ai parlé à Jean-Pierre Vincent, puis à Jean-Michel Déprats, qui m’a dit qu’Édouard III n’avait jamais été montée, que mon spectacle serait, en quelque sorte, la création mondiale de cette pièce de Shakespeare.

Édouard III n’avait jamais été mise en scène, pas même en Grande-Bretagne ?

C.G. : En tout cas, pas depuis très longtemps. Peut-être avait-elle été montée du temps de Shakespeare, mais il n’y a aucune preuve de cela…

« On pourrait presque dire qu’Édouard III est une pièce imparfaite, si elle n’était pas si bien écrite, si son style n’était pas à ce point imposant. »

Pour quelles raisons, jusqu’à cette mise en scène d’Édouard III, vous êtes-vous tenu à distance de l’œuvre de Shakespeare ?

C.G. : C’est assez étrange, parce qu’évidemment j’adore Shakespeare depuis toujours. J’ai souvent lu ses pièces. Mais pour me lancer dans un projet de mise en scène, j’ai besoin d’établir une relation particulière avec un texte. C’est ce qui s’est passé avec Édouard II de Marlowe. Je crois que j’ai été freiné par le succès des pièces de Shakespeare, dont on a tous vu de nombreuses versions. En tant que metteur en scène, on se demande forcément ce que l’on peut apporter à un grand classique, de quel regard nouveau on peut l’éclairer… Alors, en découvrant cette pièce que personne n’avait jamais mise en scène, le déclic a eu lieu. Mon désir a été immédiat.

Qu’est-ce qui vous a d’emblée séduit dans Édouard III ?

C.G. : Son caractère atypique. On pourrait presque dire qu’Édouard III est une pièce imparfaite, si elle n’était pas si bien écrite, si son style n’était pas à ce point imposant. Car il y a quelque chose de singulier dans sa structure, ce qui la rend d’autant plus attachante. Édouard III est une pièce d’une grande modernité. Elle commence par développer le thème de l’amour, puis bascule complètement dans autre chose, se tournant vers celui de la guerre. De la jeunesse du monarque à sa gloire, Shakespeare raconte la vie d’Édouard III : son amour impossible pour la comtesse de Salisbury, qui est déjà mariée et refuse d’être infidèle à son époux ; les batailles mythiques de la guerre de Cent Ans qu’il mène et gagne avec l’aide de son fils, le Prince Noir. Tout cela se mêle aux codes de l’honneur et de la chevalerie, aux règles de l’amour courtois, aux légendes du roi Arthur…

De quelle façon donnez-vous corps, sur scène, à toutes ces dimensions ?

C.G. : C’est la question centrale que pose ici Shakespeare. Comment raconter la guerre sur un plateau ? L’histoire avance grâce au récit. Il y a peu d’action. Le théâtre élisabéthain, ce n’est pas Hollywood : l’acteur est souvent face au public et il raconte ce qui se passe. Il faut donc trouver des astuces de théâtre : on joue de hors-champs, on crée des écrans de fumée…

« On passe sans arrêt de la tension à la drôlerie, de l’ironie au suspense. »

Lorsqu’on donne à entendre pour la première fois une pièce de Shakespeare, se sent-on investi d’une responsabilité particulière ?

C.G. : Il s’agit évidemment d’une expérience pas comme une autre. Bien sûr, on a le devoir d’être fidèle au texte, pour le révéler comme il est, sans le couper, sans le maltraiter. Pour autant, il ne faut pas se laisser scléroser. On doit pouvoir rester libre d’inventer le théâtre que l’on a envie d’inventer. Un peu comme si on créait un texte contemporain, finalement. Il y a quelque chose de très vivant, de très humain dans cette pièce habitée par une cinquantaine de personnages. Il y aussi beaucoup d’humour. Les interprètes jouent plusieurs rôles. Ils ne cessent d’entrer et de sortir, ils changent de costumes en permanence… Édouard III est une invitation magnifique à succomber au plaisir de faire du théâtre.

Cette pièce emprunte à toutes sortes de registres…

C.G. : Oui, il y a des scènes assez tragiques, assez graves puis, sans transition, on voit apparaître des choses beaucoup plus légères. Dans Édouard III, tout se mélange tout le temps. On passe sans arrêt de la tension à la drôlerie, de l’ironie au suspense. Ces contrastes sont très étonnants.

Quelles sont les grandes lignes du travail de direction d’acteurs que vous avez effectué avec votre troupe ?

C.G. : Nous avons veillé à être très respectueux de la langue, pour faire résonner poétiquement la très belle traduction de Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Vincent. Cela, en faisant en sorte que ce texte soit pleinement actif en 2025, qu’il ne paraisse pas ampoulé, pas théâtral, que les actrices et les acteurs instaurent avec les mots qu’ils prononcent une relation d’intimité leur permettant de les rendre les plus concrets et les plus directs possibles. Notre envie commune était de créer un théâtre artisanal qui devienne un pont entre le texte de Shakespeare et le public d’aujourd’hui.

 

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

du jeudi 2 octobre 2025 au jeudi 9 octobre 2025


Comédie de Béthune – Centre dramatique national Hauts-de-France, 138 rue du 11 novembre, 62400 Béthune. Du 2 au 9 octobre 2025. Tél. : 03 21 63 29 19. www.comediedebethune.org

En tournée :

- Du 14 au 18 octobre au Théâtre du Nord, Centre Dramatique National Lille Tourcoing Hauts-de-France.

- Le 13 novembre au Théâtre de Chartres - Scène conventionnée d’intérêt national.

- Du 25 au 27 novembre au Théâtre Olympia - Centre Dramatique National de Tours.

- Du 2 au 4 décembre à La Comédie de Reims - Centre Dramatique National.

- Du 7 au 9 janvier au Théâtre des 13 vents - Centre Dramatique National de Montpellier.

- Du 22 janvier au 22 février au Théâtre de la Tempête à Paris.

 

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