La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Emmanuel Demarcy-Mota

Emmanuel Demarcy-Mota - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Publié le 10 mars 2009

Une douce mélancolie étend son ombre sur le monde

Emmanuel Demarcy-Mota met en scène le délitement des amours entre Casimir et Caroline sur fond de crise au masque de fête. Le texte de Horváth est retraduit par François Regnault et interprété par une troupe imposante.

Que dire de la crise qui sert de cadre à l’intrigue ?
Emmanuel Demarcy-Mota : On retrouve souvent dans le théâtre de Horváth le thème de « l’argent qui manque ». La crise est posée immédiatement par Casimir qui, dès la première scène, reproche à Caroline le plaisir futile pris à la fête : « Hier on me renvoie, demain je pointe au chômage et aujourd’hui on s’amuse. », dit-il de manière sarcastique. Dès les premières scènes apparaît donc une jeunesse désemparée, pessimiste et inquiète. Mais la chose se déploie dans un climat de grand contraste entre la crise et la fête, ce que je trouve extrêmement brillant. Cela incite à travailler ce contraste entre cette relation amoureuse qui se défait à cause de l’inquiétude que cause la crise et l’arrière-plan de la fête qui apparaît comme le lieu d’un plaisir artificiel.
 
Quelle est la particularité du regard d’Horváth sur la société ?
E. D.-M. : Ce qui caractérise son théâtre et le différencie de celui de Brecht, son contemporain, c’est qu’il observe le peuple comme à travers une vitre, sans adopter d’approche didactique ni de démarche explicative ou démonstrative. Chez Horváth le peuple l’emporte sur toute dialectique. Chez Brecht, il y a une volonté de maîtriser tous les êtres à travers une intrigue qui les fait agir selon ses lois alors que chez Horváth, demeure toujours un mystère qu’il tente de montrer et non de démontrer. Cette différence en entraîne une autre sur la façon de considérer les rapports entre l’individu et la société. Là où Brecht conclut souvent de façon sarcastique à une méchanceté de l’homme, Horváth reste plus nuancé. Ainsi, les raisons sociales qu’invoque Caroline pour quitter Casimir sont peut-être autant d’alibis d’un libre arbitre féminin. Est-ce par ennui, par culpabilité ou par désir de vivre avec quelqu’un de plus riche qu’elle le quitte ? La question doit demeurer entièrement posée.
 
« Chez Horváth le peuple l’emporte sur toute dialectique. »
 
Horváth n’est donc pas un idéologue ?
E. D.-M. : Cette pièce est purement du théâtre. Ce n’est ni un roman ni un discours philosophique sur le monde. Horváth invente un monde qui est une fête dont les personnages sont sans enjeu, comme des boules de billard ricochant entre les bandes. Ils finissent par perdre l’espace de la volonté mais ils ne sont pas pour autant agis par l’extérieur. C’est le sens même de la fête : il n’y a pas d’enjeu ; le seul but, c’est l’amusement. Ces personnages sont des êtres humains qui remplissent un temps vide. L’activité ne remplit pas l’être mais le temps de l’être. Ce qui me touche beaucoup dans cette pièce c’est le regard inquiet, apeuré et innocent qu’Horváth pose sur le monde. Il se pose la question du bien et du mal sans y répondre et son écriture est empreinte d’une douce mélancolie qui étend son ombre sur le monde.
 
Pourquoi avoir choisi de retraduire la pièce ?
E. D.-M. : François Regnault a travaillé à une nouvelle traduction en cherchant à se rapprocher de nous tout en évitant les effets de mode. Chaque personnage s’exprime avec des phrases assez brèves. Le texte est dépourvu de longs discours. Mais pour autant, il n’y a pas de réalisme : l’écriture vire souvent à l’insolite et à l’étrange. Le langage très quotidien devient subitement plus décalé, et une langue spécifique apparaît alors, à la très forte dimension poétique. Cette nouvelle traduction tente de s’approcher au plus près de la pièce et de mettre à jour ses contradictions et ses violences. J’ai également décidé de faire des emprunts à d’autres textes de Horváth pour donner vie à ces autres garçons et filles présents à la fête foraine. Se dessinent ainsi des ensembles et des sous-ensembles de personnages : vingt en tout qui compose une troupe dont le caractère choral est appuyé par la mise en scène. Le contraste entre les dialogues et les chants qui ponctuent la pièce et la présence quasi systématique de tous les personnages sur scène permettent ainsi de questionner la place de l’individu dans l’intime et dans la société et de montrer l’imbrication de ces deux interrogations.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Casimir et Caroline, d’Odön von Horváth ; mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota. Du 10 au 27 mars 2009 à 20h30 ; les dimanches 15 et 22 mars à 15h. Théâtre de la Ville, 2, place du Châtelet, 75004 Paris. Réservations au 01 42 74 22 77.

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