Avignon - Entretien Jacques Kraemer

Dire la prophétie pour l’entendre

Dire la prophétie pour l’entendre - Critique sortie Avignon / 2012


 « Une sorte de fusion-déflagration entre le théâtre antique et notre actualité. » 
 
En quoi liez-vous la figure mythologique de Cassandre à l’actualité contemporaine ?
 
Jacques Kraemer : J’aime m’inspirer des oeuvres anciennes et les faire vibrer en rapport avec les préoccupations qui nous touchent le plus aujourd’hui ; selon moi, le réchauffement climatique et le nucléaire, qui mettent en danger la planète et l’espèce humaine, comptent parmi les sujets les plus inquiétants. J’ai eu l’idée de cette pièce environ un mois après la catastrophe de Fukushima. J’étais alors imprégné de la tragédie Agamemnon d’Eschyle, que j’avais montée dans le cadre d’un atelier amateur. Je suis parti d’un moment bouleversant dans la tragédie, lorsque la prophétesse Cassandre est appelée par Clytemnestre dans les thermes : elle franchit alors la porte et sait qu’elle va être assassinée, comme Agamemnon l’a été. En une sorte de dilatation du temps tragique, j’ai imaginé que Cassandre voyait une catastrophe future environ cinq mille ans plus tard, un cauchemar fondé sur l’existence de tous les arsenaux nucléaires disséminés dans le monde. Le risque zéro n’existe pas, une cinquantaine de réacteurs sont en activité en France. Cette pièce fait suite à Prométhée 71, inspirée aussi d’Eschyle, et s’alarmant des dégâts de la pollution. Ces pièces nourries de textes antérieurs et de mon imaginaire mettent en forme une sorte de fusion-déflagration entre le théâtre antique et notre actualité. 
 
Comment définissez-vous le personnage de Cassandre ?
 
J. K. : Cassandre vit la tragédie en cumulant plusieurs souffrances. Elle la vit dans le présent de la fiction, confrontée à la fatalité de son existence tragique, elle la vit aussi face à l’histoire de la destruction de Troie, à travers la mort de toute sa famille et la déportation des Troyennes réduites à un esclavage sexuel, et elle la vit à travers sa vision du futur, qu’elle ne comprend pas, celle d’une tragédie absolue, d’un terrorisme nucléaire dévastateur. Dans l’esprit de la tragédie grecque, je souhaite que cette vision soit cathartique et non prophétique ! Cassandre est traversée par plusieurs voix, du présent et du futur : tantôt elle les profère, tantôt elle est en superposition, tantôt elle est en léger décalage. La voix enregistrée est celle de Clytemnestre, dite par Christiane Cohendy.
 
Qui interprète Cassandre ?
 
J. K. : J’ai écrit la pièce en pensant à Sophie Neveu. C’est elle qui interprétait l’élève de Jouvet dans Phèdre/Jouvet/Delbo. 39-45, et je l’ai trouvée admirable dans la mort de Phèdre. Elle a un goût de la tragédie et un lyrisme naturel qui me fascinent. Elle interprète Cassandre dans un dispositif scénique évoquant une sorte de cimetière blanc onirique, afin de faire entendre pleinement la mise en garde.
 
Propos recueillis par Agnès Santi

Avignon Off. Salle Roquille, 3 rue Roquille. Du 7 au 28 juillet à 13h. Tél : 04 90 16 09 27.
 
Kassandra Fukushima / Salle Roquille
Texte et mes Jacques Kraemer

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