Théâtre - Critique

Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mis en scène de Charles Berling

Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mis en scène de Charles Berling - Critique sortie Théâtre Paris Grande Halle de la Villette


de Bernard-Marie Koltès / mes Charles Berling

Koltès recommandait que le Dealer soit noir, ou vêtu de noir, pour marquer son appartenance au monde de la nuit et du commerce illicite, face au Client, homme du jour et de la légalité, blanc ou en blanc. L’idée de Léonie Simaga, qui a conçu le projet initial de cette mise en scène avec Charles Berling, était que le Dealer soit une femme. Charles Berling a conservé cette proposition qui, selon lui, « renforce l’aspect indéfini, obscur, mystérieux de ce personnage », et en a confié le rôle à Mata Gabin, qui l’interprète en ce sens, campée dans un costume entre streetwear et oripeaux paramilitaires. La rencontre improbable, sans temps ni lieu, entre le Dealer et le Client, est marquée par le double avortement du désir et du conflit. Le costume androgyne de Mata Gabin et le complet passe-partout de Charles Berling cachent les corps et évitent une lecture érotique de la rencontre entre les deux personnages : ce sont deux espaces mentaux qui se croisent, deux postures existentielles plutôt que deux humains.

Mélodrame métaphysique et urbain

Sorte de supplice sans début ni fin, le texte confronte ses héros au désir de l’autre et au désir de mort, tous deux — et par définition —, vides, et pourtant repris dans une création continuée du désespoir. A la fois négociation commerciale et tractation diplomatique, l’échange entre le Dealer et le Client ne dévoile pas son objet, à moins que celui-ci ne soit le désir lui-même, que le Dealer pourrait satisfaire, si le Client l’éprouvait. A la fin de la pièce, il ne reste plus que la possibilité du conflit : « Alors, quelle arme ? », demande le Client. Toute la pièce n’est donc que la préparation de cette faillite ultime : le temps de la négociation est le temps de la diplomatie. « Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence de l’amour, le désir par répulsion. », dit Koltès dans Prologue. Les deux comédiens ont travaillé sous le « regard chorégraphique » de Frank Micheletti, imprimant à leur jeu l’exigence physique de la danse autour des « trois gestes capitaux dans la pièce : l’offre de la veste, la main posée sur le bras et le crachat ». Les corps occupent les différents plans de l’espace scénique (très beau décor de Massimo Troncanetti) avec une impressionnante précision : l’économie gestuelle sert remarquablement la compréhension du texte de Koltès et de ses images foisonnantes. Les lumières de Marco Giusti et la musique de Sylvain Jacques contribuent à la création d’un quasi opéra, sorte de mélodrame métaphysique et urbain, que les deux comédiens interprètent en dosant parfaitement austérité et sensualité, violence et douceur, rudesse et fragilité.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mis en scène de Charles Berling
du mercredi 15 mai 2019 au vendredi 17 mai 2019
Grande Halle de la Villette
211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris

à 20h. Tél. : 01 40 03 75 75. Durée : 1h15. Spectacle vu au Théâtre National de Strasbourg.


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