Théâtre - Critique

Cyrano de Bergerac

Cyrano de Bergerac - Critique sortie Théâtre


Cyrano emporte dans la tombe son panache immaculé, marque de ce que le XVIIème siècle appelait la gloire et qui désigne ce à quoi on se doit et qui fait un héros. Confondu avec une gloriole bravache, ce panache est souvent ce qui conduit à faire de Cyrano un bretteur insolent et provocateur – et les vers de mirliton de Rostand y invitent – plus mousquetaire que philosophe. En choisissant de confier ce rôle à Christophe Brault, comédien dont on ne saluera jamais assez l’intelligence et la distinction, Gilles Bouillon défait le contresens et rend à Cyrano toute la complexité d’un timide que sa difformité handicape, honteux de sa laideur parce qu’il aime trop la beauté, celle de Roxane, évidemment, mais aussi celle des choses de l’esprit qui offrent aux audacieux l’espoir d’aller dans la lune et leur permet de « chanter, rêver, rire, passer, être seul, être libre » sans souci d’un « protecteur » ou d’un « patron », sans dieu ni maître, libertin comme on l’était au Grand Siècle et comme le fut sans conteste Hercule Savinien de Cyrano, cet esprit fort avec lequel l’interprétation de Christophe Brault réconcilie son avatar théâtral. Intellectuel épris d’une précieuse (là encore, pas une de ces pécores que ridiculise Molière, mais une femme libre capable comme Roxane de traverser les rangs ennemis pour rejoindre son amant au siège d’Arras, et à laquelle Emmanuelle Wion donne ici une intensité dramatique qui flirte avec le sublime), maladroit comme on l’est quand on a trop de mots et plus d’intelligence que le commun, le Cyrano de Brault est un des plus fins et des plus subtils jamais interprétés.
 
Le laurier et la rose !
 
Manipulateur d’un jeu qu’il dirige en metteur en scène aguerri, Cyrano est aussi un homme de théâtre, c’est-à-dire, fondamentalement, un baroque. S’il déteste l’ampoulé Montfleury, c’est qu’il se fait une idée bien plus haute de l’art dramatique que ce butor prétentieux. Gilles Bouillon le suggère avec adresse en faisant de Cyrano le maître des effets scéniques, commandant sa clarté à la lune et organisant autour de lui une scénographie qui s’adapte d’acte en acte avec une fluidité et une élégance impeccables. Cyrano, Brault et Bouillon sont un peu comme les facettes complémentaires d’un même homme, portant tous ensemble à son acmé un amour du théâtre qui conjugue enthousiasme et talent. Cette alliance est visible dans la place que sait accorder Gilles Bouillon aux jeunes comédiens du JTRC qu’il forme au jeu par le jeu (évidence qu’il est un des rares metteurs en scène contemporains à réaliser), qui composent dans cette pièce une troupe harmonieuse et joyeuse. Autour des trois comédiens principaux (Brault et Wion et le très beau Thibaut Corrion qui fut un excellent Rodrigue pour le regretté Alain Ollivier et confirme ici son talent dans le rôle de Christian), les seconds rôles sont interprétés avec justesse et conviction, et tout concourt à composer un spectacle radieux et tendre, émouvant et drôle, enlevé et brillant, généreux et populaire, qui mérite de se voir servi « le laurier et la rose » !
 
Catherine Robert

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand ; mise en scène de Gilles Bouillon. Du 9 novembre au 12 décembre 2010. Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 16h30. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-manœuvre, 75012 Paris. Réservation au 01 43 28 36 36. Tournée du 14 décembre 2010 au 31 mai 2011. Durée : 2h45. Spectacle vu au Centre Dramatique Régional de Tours – Nouvel Olympia.

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