Danse - Critique

« Branle » de Madeleine Fournier, cocasse, pittoresque et drôlement intelligent

« Branle » de Madeleine Fournier, cocasse, pittoresque et drôlement intelligent - Critique sortie Danse Pantin Centre national de la danse


Centre National de la Danse / Chorégraphie Madeleine Fournier

Les musiciens sont sur leur estrade, le parquet est bien dégagé, le cercle est formé. Pourtant, c’est une logorrhée qui ouvre le bal, portée par la chanteuse et musicienne Marion Cousin. Elle énumère, presque religieusement, une liste des émotions, façon Spinoza, allant du désir à la lubricité, en passant par la joie, la colère, l’amour, l’espoir, la honte, la pitié, définies selon qu’elles s’imbriquent ou s’opposent. Ceci exposé, changement d’ambiance : voilà les danseuses et le danseur qui prennent l’espace, au son des « pouets ! » et des « couacs ! » de la cornemuse irlandaise de Julien Desailly. Ils s’élancent sur la piste par surgissements, dispersant bras et jambes dans l’espace de façon désarticulée, comme courant sur des braises ou marchant sur des œufs. Œufs que l’on retrouvera sous une autre forme tout au long de la pièce, mais, rassurons-nous, aucun poussin n’aura été maltraité durant la représentation. Seul le rythme de la musique, qui s’organise enfin en branle binaire issue de la tradition, viendra redresser les corps, mettre en scène leurs déplacements en lignes diverses, chorégraphier leurs petits pas sautillants. D’abord sur place, puis en pas chassés plus étirés, et jusqu’en tournoiements, la danse se travaille à l’unisson et dans un élan collectif au martèlement communicatif.

Entre cadence et soulèvement

Madeleine Fournier s’attache alors à déployer cette bourrée en variations contemporaines, joignant des gestes du haut du corps issus d’un registre utilitaire (manger, travailler…), non sans humour, citant la danse de l’œuf, jeu chorégraphique populaire de la Renaissance. Lorsqu’advient la rupture musicale, la lumière se tamise, les corps se rapprochent en sabbat mystérieux. Les mains s’accrochent, les coudes se touchent, la ronde se forme en chaîne qui prend le temps de la lenteur et du transfert de poids, sur un chant à la mystique envoûtante. La procession en bouches ébahies laisse alors éclater tout ce qui se tramait dans cet élan collectif introduit par la leçon d’affects livrée en ouverture du spectacle : la libération des corps par la danse. Ils s’émancipent peu à peu, tombent à la renverse, s’essayent aux portés, en fesse-à-fesse ou en soulevés de corps. Ils se démantibulent, partent en solos dégingandés, en révérences irrévérencieuses de liberté de mouvement retrouvée, à l’ingénuité presque enfantine. Si la lubricité a le dernier mot, aucune vulgarité ne subsiste dans les corps : au contraire, c’est un sentiment d’amour et de fête joliment délurée qui guide les pas, entre archaïsme et instant présent.

Nathalie Yokel

A propos de l'événement


Branle
du jeudi 7 décembre 2023 au samedi 9 décembre 2023
Centre national de la danse
1 rue Victor Hugo, 93500 Pantin

Les 7 et 8 décembre 2023 à 19h, le 9 à 18h. Dans le cadre du Festival d’Automne. Tél. : 01 41 83 98 98. Spectacle vu à l’Atelier de Paris, CDCN.


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