Bizaravar d’après Molière, mise en scène de Benoît Lambert

Vous dites que Molière en même temps vous déçoit et vous attire irrésistiblement. Pourquoi ?

Benoît Lambert : Quand je monte un classique, je pars souvent de souvenirs brumeux du texte. Par exemple, j’ai décidé de monter L’Avare avant de relire la pièce. Comme disait Charles Dullin, elle m’est apparue tout d’abord comme « une suite de sketches sur l’avarice ». Ensuite, quand nous sommes entrés dans la lecture avec les comédiens, que les personnages ont trouvé un corps, que la pièce s’est incarnée, l’effet sketches et personnages en 2D a disparu. Nous avons alors retrouvé la cruauté, la violence, le baroque et la profondeur de l’analyse anthropologique de Molière.

Est-ce cette ambivalence de Molière que vous mettez en scène dans Bizaravar ?

B.L. : Absolument. Je me suis toujours demandé ce qu’on pouvait faire passer de Molière sur la base de cette chose plate que sont ses textes quand ils ne sont pas incarnés. J’adore les professeurs, l’école, mais je me dis que c’est difficile d’étudier Molière sans acteurs. Car Molière écrit pour les acteurs. Alors, avec Bizaravar, je fais un peu le cours de français dont j’aurais rêvé.

« Avec Bizaravar, je fais un peu le cours de français dont j’aurais rêvé. »

Comment se présente Bizaravar ?

B.L. : C’est une forme légère destinée à tourner plus de cent fois dans les établissements scolaires des environs de Saint-Étienne. C’est une petite conférence sur Molière avec deux personnages. L’un fait une présentation enthousiaste de Molière. C’est vraiment une fan. L’autre est plus dubitatif. Cela mènera les deux interprètes à jouer quelques scènes de la pièce, mais aussi à les commenter, à s’arrêter sur certains passages, sur des questions de langue, qui ne sont pas toujours simples. Et aussi à examiner des thématiques : quel est le rapport à la jeunesse dans cette pièce ? Et à l’argent ?

Un classique comme L’Avare peut-il donc encore nous parler ?

B.L. : Oui. Sinon, on ne le jouerait plus. Quand j’ai commencé le théâtre, monter un classique était un passage obligé pour les metteurs en scène. Aujourd’hui, contrairement à une légende tenace sur le théâtre public, on monte de moins en moins de classiques. Je ne cherche pas pour ma part l’actualisation à tout prix, je m’en méfie même.

Vous avez confié cette tournée à quatre jeunes acteurs….

B.L. : Effectivement. Pour renouveler la belle expérience de Dijon, j’ai souhaité associer quatre jeunes comédiennes et comédiens à la Comédie de Saint-Étienne. Ils formeront deux duos et auront la chance de jouer soixante fois, en restant au moins 50 minutes sur scène, en l’occurrence en salle de classe. Faire cette expérience en sortant d’une école, c’est quelque chose de rare, de difficile et de puissamment formateur, je pense. Et pour les élèves, voir le théâtre entrer en classe, c’est aussi marquant je crois. J’aimerais que chaque élève voie au moins un spectacle par an à l’école. Cela se fait de plus en plus mais je rêve d’une véritable colonisation de l’école par les arts.

Propos recueillis par Eric Demey