Avignon - Entretien

Avec “An Oak Tree” et “Truth’s a Dog Must to Kennel” du Britannique Tim Crouch, une exploration des thèmes de la vie, de la perte, du pouvoir que le théâtre peut donner aux publics

Avec “An Oak Tree” et “Truth’s a Dog Must to Kennel” du Britannique Tim Crouch, une exploration des thèmes de la vie, de la perte, du pouvoir que le théâtre peut donner aux publics - Critique sortie Avignon / 2023 Avignon


Cloître des Célestins et Chapelle des Pénitents blancs / texte et mise en scène Tim Crouch

Vous défendez l’idée d’un théâtre comme art conceptuel. Qu’entendez-vous par là ?

Tim Crouch : Le théâtre est une forme d’art qui se déploie à un endroit précis : à l’intérieur de la tête des spectateurs. C’est là que tout se passe. Ni la scénographie, ni l’interprète ne représente le centre du théâtre. Tous deux ne font que nourrir l’imaginaire du public. C’est leur fonction. J’ai l’impression que, parfois, nous oublions cela, que nous nous laissons enfermer dans des effets de virtuosité distanciée et des esthétiques spectaculaires. Mon travail cherche à replacer le public au centre du théâtre par le biais d’un acte d’imagination collective. La force conceptuelle du théâtre vient de son pouvoir de rassemblement. Le fait que nous nous réunissions dans un même lieu permet à nos esprits de s’engager dans un processus de coopération et de transformation.

Quelle place la construction formelle occupe-t-elle dans An Oak Tree et Truth’s a Dog Must to Kennel ?

T.C. : An Oak Tree parle d’un homme qui assimile un arbre à sa fille décédée. Truth’s a Dog Must to Kennel raconte comment le personnage du Fou, dans Le Roi Lear, décide de quitter la pièce de Shakespeare. Ces deux histoires sont aussi contenues dans leurs formes respectives. Le cadre formel de ces pièces participe à leur narration. Dans An Oak Tree, un acteur ne connait pas son texte. Dans Truth’s a Dog Must to Kennel, certains moments voient l’histoire être racontée grâce à un casque de réalité virtuelle qui ne transmet aucune image. Ces deux formes nous racontent comment les êtres humains peuvent être ensemble, comment nous existons dans le monde, comment nous nous connectons les uns aux autres et communiquons, comment nous faisons face à la perte, comment nous nous présentons et représentons, comment nous cherchons à comprendre l’inconcevable.

« C’est le public qui changera le monde, pas le théâtre. »

Quels aspects de votre travail ces deux projets éclairent-ils ?

T.C. : Ces deux pièces présentent chacune une vision du vivant. An Oak Tree témoigne de l’irreproductibilité du théâtre, qui ne peut jamais être deux fois exactement le même. Quant à Truth’s a Dog Must to Kennel, comme l’a dit Walter Benjamin, il nous plonge dans « la reproductibilité technique de l’œuvre d’art ». Cette pièce est une réponse à la menace existentielle que fait peser le digital sur la performance réelle. Car la production théâtrale transmise par le biais d’un casque de réalité virtuelle est toujours la même. Elle ne prend pas en compte le présent. Elle continue, quoi qu’il arrive, de façon aveugle. J’oppose à cette idée d’immuabilité celle de l’imagination du public, à qui l’on donne la place qu’elle mérite. Comme dans Le Roi Lear, lorsqu’Edgar dit faire face à une falaise qui n’existe pas, mon espoir est que l’imagination puisse l’emporter.

Quelle relation souhaitez-vous instaurer avec le public ?

T.C. : Le public est l’ultime collaborateur de mon travail. C’est lui qui finalise le voyage que représente le théâtre. C’est la raison pour laquelle je laisse la représentation ouverte : pour autoriser cette participation. J’essaie de faire en sorte que la scène soit généreuse, ludique et perméable à la présence des spectatrices et spectateurs. Il s’agit d’un acte politique. Je veux que le public comprenne le pouvoir qui est le sien. C’est le public qui changera le monde, pas le théâtre.

Entretien réalisé et traduit de l’anglais par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement


An Oak Tree et Truth’s a Dog Must to Kennel
du jeudi 6 juillet 2023 au dimanche 23 juillet 2023

Place des Corps-Saints, 84000 Avignon. Chapelle des Pénitents blancs, Place de la Principale, 84000 Avignon. Spectacles en anglais, surtitrés en français.

An Oak Tree : du 6 au 11 juillet 2023 à 22h, relâche le 7 juillet, au Cloitre des Célestins.


Truth’s a Dog Must to Kennel : du 14 au 17 juillet à 11h, du 19 au 23 juillet à 18h à la Chapelle des Pénitents Blancs.


Tél : 04 90 14 14 14.


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