Théâtre - Critique

Asphalt jungle

Asphalt jungle - Critique sortie Théâtre Paris La Manufacture des Abbesses


de Sylvain Levey / mes Laurent Maindon

Ils n’ont pas spécialement des têtes d’abrutis, ils sont plutôt bien mis, ils sont sobres et courtois, ne lèvent pas le ton et sont d’une politesse exquise. Quatre hommes sur scène, nonchalants et souples, sympathiques et souriants : parfaitement semblables à ceux qui les regardent et ne peuvent évidemment pas intervenir, puisqu’ils sont venus au théâtre, où la convention impose de se taire et d’applaudir à la fin… Il faut néanmoins quelques secondes avant que les mains consentent à saluer la performance d’un réalisme confondant et magistralement interprétée par les comédiens : qu’acclame-t-on, en effet, à la fin de ce spectacle ? Non seulement ceux qui ont donné à voir et à entendre cette pièce terrifiante, mais – on ne peut s’empêcher d’y penser – la situation atroce qu’elle a montrée et notre veule complicité de spectateurs silencieux. Deux hommes demandent à un troisième d’en frapper un quatrième. Personne n’est là pour intervenir, faire cesser les coups et rétablir la paix. Le public doit donc encaisser, comme la victime le fait en remerciant ses bourreaux.

Tuer les autres pour tuer le temps…

Le problème tient aussi au fait que cette victime étrange ne se rebiffe pas… Servitude volontaire ? Complicité idiote, acceptation de la loi du plus fort ? Force est de l’admettre ! L’intelligence du propos de Sylvain Levey, parfaitement servie par la mise en scène qui en adopte l’élégante retenue, tient au fait que la pièce suggère toutes les situations imaginables sans en préciser aucune. Ratonnades, pogroms, Nuit de Cristal, exactions sexistes, tabassage homophobes, etc. : la structure est toujours la même et elle se joue devant nos yeux effarés. Il suffit de se croire supérieur pour justifier le pire. Il suffit d’être au moins deux pour en convaincre un troisième de casser la figure, les genoux et les côtes d’un quatrième, de l’humilier, de le pousser au suicide, de mimer son exécution et d’en rire. Erreurs ou ignominies de l’Histoire ? Pas du tout ! Ici, maintenant, hier encore, demain sans aucun doute, « tuer son frère est plus doux » que « boire aux fontaines » et partager ensemble « un vin bleu comme le ciel », comme disait l’indispensable Hugo. Ghyslain Del Pino, Christophe Gravouil, Yann Josso et Nicolas Sansier interprètent leurs rôles avec un très grand talent et une finesse suggestive d’autant plus efficace qu’elle ne caricature jamais ces êtres atroces, figures plutôt que personnages, humains, nos semblables, nos contemporains, nous, peut-être…

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


Asphalt jungle
du mercredi 29 août 2018 au samedi 13 octobre 2018
La Manufacture des Abbesses
7, rue Véron, 75018 Paris.

Du mercredi au samedi à 19h. Tél. : 01 42 33 42 03. Durée : 50 min.


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