Théâtre - Critique

Antigone

Antigone - Critique sortie Théâtre


Le personnage d’Antigone, féminin, jeune et résistant, séduit généralement par sa fougue et son jusqu’auboutisme : elle est souvent la lumière incandescente qui éclaire la pièce, dans des mises en scène qui l’héroïsent et la transforment en porte-étendard de toutes les révoltes. Olivier Broda refuse cette lecture psychologisante. Car effacer Créon et transformer la tragédie en drame de la résistance, c’est oublier que le conflit entre l’oncle et la nièce n’est pas seulement l’illustration du combat entre les lois des hommes et les lois des dieux, entre les vivants et les morts. Si Antigone enterre Polynice, c’est au nom d’une piété filiale qui devrait la faire plier devant l’ordre des pères, et si Créon affirme la légalité contre la légitimité, il oublie ce que vient lui rappeler Tirésias : c’est grâce au devin, et donc aux dieux, qu’il a conquis le trône. C’est en cet inextricable nœud que réside justement la tragédie : les deux lois qui s’affrontent sont liées l’une à l’autre. Et on sait que seul le fer peut trancher les nœuds de ce genre : il perce le flanc d’Hémon et le foie d’Eurydice, le fils et la femme du roi. La tragédie n’a pas d’autre issue que la mort, et tous les Labdacides sont condamnés.

L’essence de la tragédie

Alain Macé, hiératique et terrifiant, est drapé de rouge : la couleur du pouvoir est aussi la couleur du trépas. Le comédien, comme habité par une rage sanguinaire, module de la voix et scande du geste le destin assoiffé qui parle en lui : son hybris (cet orgueil démesuré qui, aux yeux des Grecs, est le pire des défauts) l’égare et le transforme en pantin pitoyable. Face à ce roi misérable, dernière victime et dernier assassin de sa race maudite, Antigone (interprétée par une Laetitia Lambert inspirée) se dresse en victime digne plutôt qu’en provocatrice adolescente. Elle est, comme Danaé, qu’évoque le chœur, le jouet de la colère des dieux, et fait, elle aussi, preuve d’hybris en revendiquant d’enterrer seule son frère, manquant ainsi aux valeurs civiques et épiques, qui exigent que les funérailles soient collectives. Si la dramaturgie révèle une connaissance très précise du théâtre grec, la mise en scène en rappelle également les principes, choisissant de confier tous les rôles à trois interprètes (Sylvain Fontimpe complète heureusement la distribution), entourés par un chœur de chanteuses et musiciennes. La traduction de Jean et Mayotte Bollack rend le texte clair et précis, avec un grand souci de la musicalité de la langue. Le travail d’Olivier Broda et des siens est intelligent et soigné, et rend un hommage vibrant à ce texte essentiel d’un des pères du théâtre occidental.

Catherine Robert


Antigone, de Sophocle ; mise en scène d’Olivier Broda. Du 28 mars au 6 mai 2012. Du mercredi au samedi à 19h30 ; dimanche à 15h. Vingtième théâtre, 7, rue des Plâtrières, 75020 Paris. Tél : 01 43 66 01 13.

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