Théâtre - Critique

Alice et cetera

Alice et cetera - Critique sortie Théâtre


Les trois œuvres réunies par Stuart Seide en un seul spectacle diffèrent par le ton, la forme et le propos. Au délire érotomane et loufoque d’une Alice kaléidoscopique succède la confession introspective d’une mère de famille révoltée consolant sa frustration sexuelle pendant une journée d’errance libidinale, puis vient le feu d’artifice verbal d’un couple s’essayant à l’amour libre et retombant dans les rets de la jalousie possessive et les pièges de l’hypocrisie narcissique. Le spectacle ménage habilement l’équilibre entre unité théorique et diversité théâtrale. Elargissant progressivement la focale du centre du plateau jusqu’à ses marges, la scénographie suggère le lien entre les fantasmes sexuels rêvés par Alice, hydre pimpante et vorace à la fausse naïveté désopilante (Alice au pays sans merveilles), leur mise en acte vengeresse dans Je rentre à la maison et l’échec de leur réalisation dans le couple malgré la justification sophistiquée de l’idéologie libertaire confondant amour et consommation dans Couple ouvert à deux battants. L’unité théorique est ici celle d’un féminisme lucide et d’un art de la critique sociale que Dario Fo et Franca Rame servent avec une finesse et une précision dramatiques (vivacité des dialogues, ruptures de ton habiles, ingéniosité de la mise en abyme) époustouflantes.
 
Une bouffonnerie satirique mâtinée de perspicacité humaniste
 
L’intelligence avec laquelle Stuart Seide s’empare de ces textes bouffons tient à sa sagace retenue sur les pentes de la farce. Les hommes n’y sont pas caricaturés, les femmes n’y apparaissent ni comme des viragos ni comme des mégères : belle idée à cet égard que de choisir un comédien pour le monologue féminin de Je rentre à la maison, suggérant ainsi la complexe articulation entre genre et sexe. Le comique naît du texte et du jeu des acteurs, sans ajout grotesque ou graveleux, sans traitement appuyé du ridicule. Surgissent ainsi l’émotion et la possibilité réflexive sans que la drôlerie en pâtisse pour autant. On rit donc beaucoup à ce spectacle et la joie naît autant de la précision de la mécanique théâtrale, de la folie échevelée des situations que de la justesse de la satire sociale qui n’épargne aucune de ces machines désirantes tout en traitant leurs blessures et leur faiblesse avec un infini respect et une grande tendresse. Les jeunes comédiens formés par Stuart Seide à l’EPSAD (l’Ecole Professionnelle Supérieure d’Art Dramatique de la Région Nord-Pas-de-Calais) font merveille et, entre tous, Caroline Mounier, solaire Antonia, fait montre d’un talent dramatique fracassant et d’une énergie comique remarquable. Pertinent dans ses effets, hyper efficace dans son propos et dynamique et virevoltant dans son traitement scénique, ce spectacle offre un moment ludique et spirituel rare.
 
Catherine Robert

Alice et cetera (Alice au pays sans merveilles / Je rentre à la maison / Couple ouvert à deux battants) de Dario Fo et Franca Rame ; mise en scène de Stuart Seide. Du 29 mai au 12 juin 2008 à 20h sauf le dimanche à 16h et les 5 et 12 juin à 19h. Grande salle. Lille. Théâtre du Nord, 4, place du Général de Gaulle, BP 32, 59026 Lille cedex. Réservations au 03 20 14 24 24. Site : www.theatredunord.fr

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