Théâtre - Critique

40° sous zéro de Copi, mise en scène de Louis Arene

40° sous zéro de Copi, mise en scène de Louis Arene - Critique sortie Théâtre Paris Le Monfort


Reprise Le Monfort / texte de Copi / mise en scène Louis Arene
Critique

Quelle folie ! Quelle démesure ! Et quel talent ! Mettre en scène Copi aujourd’hui est un pari difficile, relevé par le bien nommé Munstrum Théâtre avec une éblouissante maestria et une jubilation de tous les instants. Ce que réalise cette jeune compagnie, c’est une forme singulière de dépassement du texte grâce à un alliage formidablement énergique condensant tous les artifices du théâtre. Comme une sorte de transe joyeuse malgré la mainmise de pulsions bestiales, dévastatrices et meurtrières. Le jeu et les corps dans l’espace font naître une multitude de situations loufoques qui s’enchaînent sans relâche, créant une partition vertigineuse où le sens, délesté de ses habituels attributs cartésiens, s’aventure dans des zones indéterminées, archaïques, primitives et brutes. Ce qui frappe aussi dans cette mise en scène, c’est une manière ténue et vive de faire surgir des moments de vérité au cœur de cette extravagance. L’image inaugurale superbe donne le la. Silhouette imposante, un personnage monstrueux et grandiose (Louis Arene) chante a capella Girls just want to have fun de Cyndi Lauper. Un rappel des revendications des années 1970 autant qu’un appel à la liberté pour tous, aujourd’hui. A l’image de la longue robe-couverture patchwork qui habille certains, Christian Lacroix mêle les époques et les styles dans les costumes qu’il crée, aussi excessifs et exacerbés que la parole de Copi. D’impressionnantes coiffes les accompagnent, conçues par Véronique Soulier-Nguyen.

Ici les morts se relèvent

Comme toujours dans le travail de cette compagnie, des masques comme une seconde peau accentuent l’étrangeté des êtres, la perte d’identité, créant au-delà du genre. Les deux pièces ont en commun le froid extrême – la Sibérie pour L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et l’Alaska pour Les quatre Jumelles – et l’enfermement, signifié par de hauts murs qui s’effaceront pour rendre visibles la cage de scène et un rideau de théâtre bancal, déglingué, mais toujours là. Toujours là pour les exilés fuyant l’oppression et amoureux de la liberté de la scène, tel Copi, qui a quant à lui choisi la veine d’un rapprochement transgressif assemblant le rire et la mort. Dans un univers post-dramatique déchiré par toutes sortes de conflits qui ne se résolvent jamais, le corps est un terrain d’affrontements inlassables. La mise en scène joue de ces contrastes et tensions entre cruauté et drôlerie, kitsch et sublime. Froid oblige, la soupe que prépare Madre à sa supposée fille Irina dans L’Homosexuel n’est pas faite avec de petits légumes, mais préparée à grands coups de serpe dans… un ingrédient poilu. Très poilu aussi, le chien de la maison qui a de drôles de manières d’être proche avec ses maîtres. Parfois affublés d’étranges prothèses, avec à leurs pieds geta japonaise, chaussures de ski, cothurnes queer, patins à glace ou chaussures des années 1950, les comédiens – Louis Arene, Lionel Lingelser, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Éthève et François Praud – impressionnent par la vivacité, la précision et l’énergie physique de leur jeu. Invité sur la scène, le Paradis blanc de Michel Jonasz télescope un cauchemar rougi d’hémoglobines. Mais un cauchemar étonnamment joyeux, empli d’un furieux désir de vivre.

Agnès Santi

 

*Lire notre critique La Terrasse n°272

A propos de l'événement


40° sous zéro de Copi
du mercredi 20 novembre 2019 au samedi 30 novembre 2019
Le Monfort
106 rue Brancion, 75015 Paris

Les 20, 21, 22, 23 et 25 novembre à 20h30, le 24 à 16h, les 29 et 30 novembre à 20h30. Relâche les 26, 27 et 28 novembre. Tél : 01 56 08 33 88. Spectacle vu à La Filature à Mulhouse en mars 2019. Durée : 1h40.


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