Théâtre - Entretien

3 créations de Tiago Rodrigues pour cette rentrée : Dans la mesure de l’impossible, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Chœur des amants

3 créations de Tiago Rodrigues pour cette rentrée : Dans la mesure de l’impossible, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Chœur des amants - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier


Qu’est-ce qui vous a amené à écrire Dans la mesure de l’impossible, texte conçu à partir de témoignages de travailleuses et travailleurs humanitaires ?

Tiago Rodrigues : L’idée m’est venue alors que je présentais plusieurs de mes spectacles à Genève. J’ai eu l’occasion de rencontrer des spectateurs qui travaillaient dans le domaine de l’humanitaire. Je me suis aussitôt intéressé à leur expérience, à leur situation entre deux mondes : un monde où l’on dispose des droits essentiels, où l’on peut aller au théâtre tranquillement ; un monde où l’on manque de tout, où l’on est face à des situations d’urgence, comme des conflits ou des catastrophes naturelles. Je me suis dit que cette position devait leur permettre d’avoir un regard enrichi sur les choses.

 

Cette pièce est-elle davantage un texte sur les désastres du monde ou sur le quotidien de celles et ceux qui interviennent pour tenter de remédier à ces catastrophes ?

T.R.: C’est plutôt un texte sur la façon dont ces femmes et ces hommes, qui ont une expérience extraordinaire, vivent, pensent et regardent le monde. Il s’agit d’une plongée dans le quotidien hors norme qui est le leur. Ce spectacle fait théâtre de ce qui nous est raconté — de façon pudique, rigoureuse, complexe — par ces humanitaires. Avec bien sûr, au centre de leurs propos, la question de la souffrance, de la violence, de la guerre et des dilemmes humains qui en découlent. Mais Dans la mesure de l’impossible parle avant tout de la façon dont celles et ceux qui ont vécues ces situations en rendent compte.

 

Pour autant, vous ne considérez pas cette création comme une proposition de théâtre documentaire…

T.R.: En effet. Dans la mesure de l’impossible est davantage une pièce de théâtre documenté que de théâtre documentaire. Car même si mon processus de recherche a quelque chose de très journalistique, dans le sens où j’ai écrit ce texte à partir d’interviews, mon projet n’était pas d’embrasser l’ensemble de ce sujet de manière définitive et académique. J’ai plutôt cherché à éclairer quelques points en laissant la possibilité aux publics de réfléchir plus globalement à partir de ces exemples. Cela, en prenant des libertés poétiques, en utilisant le théâtre comme filtre pour séparer ce qui est de l’ordre du document, du récit réel et ce qui est de l’ordre du spectacle. Ici, la fiction se situe dans l’évocation, dans la subjectivité du jeu d’acteur, plutôt que dans l’illustration des situations qui nous ont été racontées.

« On retrouve, dans la plupart de mes spectacles, un amour du réel qui se mélange à un amour de la fiction et de la poésie. »

Cette façon de procéder entre réalité et fiction, entre matériaux réels et réappropriation de ces matériaux par le biais de l’invention scénique, ne serait-elle pas la principale caractéristique de votre écriture théâtrale ?

T.R.: Vous avez sans doute raison, même si ce n’est pas pour moi un but. Car je ne cherche jamais à faire des spectacles qui ressemblent à ceux que j’ai déjà faits. Au contraire, je me laisse embarquer dans des sujets, dans des contextes et des voyages à chaque fois différents, en imaginant qu’ils puissent aboutir à des créations tout à fait singulières. En même temps, il est évident que plus un artiste écrit, plus un artiste travaille, plus il découvre de correspondances entre ses différents spectacles. Il y a une façon de faire et un vocabulaire qui s’affirment. En ce qui me concerne, si je considère par exemple Dans la mesure de l’impossible, Antoine et Cléopâtre, By Heart ou encore Sopro, je dirais que l’on retrouve, dans la plupart de mes spectacles, un amour du réel qui se mélange à un amour de la fiction et de la poésie. On retrouve également un grand intérêt pour l’idée de ressusciter une histoire qui était là avant moi, en la déplaçant un peu, en l’éclairant à ma façon.

 

Parallèlement à Dans la mesure de l’impossible, vous présentez deux spectacles aux Bouffes du Nord…

TR.: Oui. Il y a Chœur des amants, qui est la première pièce que j’ai écrite, en 2007. C’est un texte très court, inspiré de ma propre existence, dans lequel un couple est confronté à une situation médicale critique. J’ai voulu, avec les comédiens David Geselson et Alma Palacios, revenir à cette pièce en la prolongeant, ce qui a aussi été pour moi une façon de regarder comment, aujourd’hui, je peux écrire à partir de ce que j’écrivais à l’époque. Ce spectacle a une dimension très musicale. Il projette les acteurs en dehors du cadre de la psychologie pour les amener à se situer à un endroit plus ambigu, un endroit où ils racontent davantage qu’ils ne jouent ou qu’ils ne vivent. Quant à l’autre pièce, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, il s’agit d’une réaction à quelque chose qui m’interpellait : les résidus et les menaces du fascisme, aujourd’hui, dans la société portugaise. J’ai imaginé une histoire qui fait le lien entre la dictature qu’a connue le Portugal de 1926 à 1974 et une fiction dystopique dans laquelle l’extrême-droite arrive de nouveau au pouvoir, en 2028, et change la constitution portugaise. On fait la connaissance d’une famille qui a pour tradition complètement absurde, absolument immorale, d’assassiner chaque année un fasciste. Un jour, l’une des leurs, Catarina, refuse de perpétuer cette tradition. Cette pacifiste dénonce l’usage de la violence, même pour protéger la démocratie. Il s’agit d’une pièce sur le doute qui a fait beaucoup de bruit au Portugal. Cela, à cause d’une forme d’opportunisme de la part de certains politiques qui ont voulu voir dans ce spectacle une glorification de la violence. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement


Dans la mesure de l’impossible, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Chœur des amants
du mardi 20 septembre 2022 au vendredi 14 octobre 2022
Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
1 rue André-Suarès, 75017 Paris.

Du 20 septembre au 14 octobre 2022 (Dans la mesure de l’impossible). Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Durée de la représentation : 2h. Spectacle en français, en anglais et en portugais, surtitré en français et en anglais, programmé dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu.


 


Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, 75010 Paris. Du 7 au 30 octobre 2022  (Catarina et la beauté de tuer des fascistes). Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h. Durée de la représentation : 2h30. Spectacle en portugais, surtitré en français. Du 8 au 29 octobre 2022 (Chœur des amants). Du mercredi au vendredi à 18h, le samedi à 15h et 18h. Durée de la représentation : 45 minutes. Tél. : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com


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