Cirque - Critique

間 (Ma, aïda…) de Camille Boitel et Sève Bernard

間 (Ma, aïda…) de Camille Boitel et Sève Bernard - Critique sortie Cirque Toulouse Théâtre Garonne


En tournée

« Se souvenir de l’amour, du souvenir de l’amour (…) / les amants s’étaient giflés et mordus (…) / les baisers avaient été donnés de force et les caresses faisaient mal (…) / il essayait de se souvenir de l’amour (…) / se souvenir de quelque chose (…) / qui n’existait peut-être pas ». Extraites du très poétique synopsis de L’Homme de Hus (2003), le seul en scène qui fait connaître Camille Boitel et sa compagnie L’Immédiat, ces quelques phrases nous indiquent que l’amour n’est pas un terrain inconnu pour l’artiste qui se définit lui-même comme « couteau-suisse ». Lorsqu’il décide avec la danseuse Sève Bernard – elle lui avait déjà offert son regard pour l’écriture de Lancée de chute (2018) et Calamity Cabaret (2018) – de faire de ce champ de l’expérience humaine le cœur d’une pièce, (Ma, aïda…), il sait où il pose les pieds. Sur un sol bien branlant, prêt à chaque instant à se dérober sous son poids et celui de sa partenaire. Car en plus de co-signer l’écriture et la mise en scène du spectacle, les deux artistes l’interprètent ensemble. S’il s’impose pour la première fois un thème, une figure précise – celle du couple, ou plutôt du duo qui s’efforce de faire couple –, c’est donc pour continuer de creuser le motif qui fait de tous ses personnages des êtres en sursis, toujours au bord de la chute et régulièrement à terre : la catastrophe. Tragi-comique, burlesque et onirique, celle de (Ma, aïda…) a la beauté des déclarations impossibles. De celles qui, immédiatement formulées, scellent la fin d’une histoire.

Fragments d’un ballet amoureux

Comme dans nombre de ses autres pièces où Camille Boitel mêle les langages du cirque, de la danse et de l’objet pour exprimer selon ses termes nos « vies en éclat, notre humanité en ruine », les corps sont ici soumis à des lois qui les dépassent. Composé de 36 courtes séquences que l’artiste qualifie de « spectacles », (Ma, aïda…) semble fait des vestiges d’une imagerie de l’amour morte à force d’avoir donné lieu à trop de représentations médiocres. Chaque tentative de rapprochement, chaque étreinte ou chaque crise à laquelle Sève Bernard et Camille Boitel donnent vie par leur langage très physique avortent au bout de quelques secondes, au mieux d’une poignée de minutes. Ils sont avalés par le noir d’un rideau qui semble animé d’une vie propre. Et par un parquet qui s’effondre littéralement sous le poids du ballet amoureux tout morcelé qui tente de se jouer. Le désordre, l’écroulement de (Ma, aïda…) ne doit rien au hasard : sous ses apparences toutes simples, le sol qui se dérobe est une machinerie complexe, sidérante, activée par des techniciens presque invisibles. La suite d’accidents qui forment le spectacle est aussi régie par une autre mécanique : celle du rituel, portée par les musiciens japonais Jun Aoki et Tokiko Ihara, dont l’orgue à bouche apporte aux fragments amoureux de la pièce un supplément d’âme et de mystère.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement


間 (Ma, aïda…)
du vendredi 7 janvier 2022 au mercredi 6 avril 2022
Théâtre Garonne
1 avenue du Château d’eau, 31300 Toulouse.

Les 7 et 8 janvier 2022 à 20h30, le 9 janvier à 17h. Tel : 03 88 27 61 81. www.maillon.eu. Également les 17 et 18 janvier au Cratère à Alès, du 4 au 19 février au Nouveau Théâtre de Montreuil et les 5 et 6 avril au Domaine d’O à Montpellier. Spectacle vu au Maillon, scène européenne à Strasbourg.


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