Ceux qu’intéressent taxinomie et hiérarchie des espèces se placent souvent au sommet d’une échelle, du haut de laquelle ils entendent régenter le monde et asservir ceux au-dessus desquels ils se placent. Dans la pièce de Vercors, Vancruysen, l’homme d’affaires prêt à exploiter les anthropoïdes découverts en Nouvelle-Guinée par une équipe d’ethnologues qui se demandent où les placer dans l’arbre généalogique des singes, est le seul à en être certain : ils sont des bêtes, donc taillables et corvéables à merci. Les scientifiques sont moins sûrs d’eux… Pour décider si les Tropis (surnom des Paranthropus erectus inventés par Vercors) sont humains, l’équipe de chercheurs a l’idée de féconder une femelle tropis avec du sperme humain, afin d’utiliser l’interfécondité comme critère d’appartenance. Naît un bébé que son père biologique, Douglas Templemore, tue à sa naissance. S’ouvre alors un procès, dont le verdict sera scientifique autant que juridique : si c’est un homme, c’est un meurtre, si c’est un animal, Templemore n’est pas coupable.
Si c’est un homme
Pourquoi inventer une telle horreur et comment supporter l’oxymore d’un « assassin philanthrope » ? « Hier ist kein warum », comme le rapporte Primo Levi, dont on ne peut pas oublier le témoignage, pas plus qu’on ne peut effacer l’extermination des « Stücke » au nom du refus de les considérer comme humains. Vercors a publié Les Animaux dénaturés dix ans après Le Silence de la mer : la question de l’humanité de l’homme est intrinsèquement liée à celle de son inhumanité. Peut-être est-ce finalement là le critère d’appartenance à cette espèce maudite, car il ne vient pas à l’esprit des Tropis de vérifier que les anthropologues qui les étudient sont leurs semblables. Les très belles têtes d’animaux, créées par Anne Leray et qu’arborent les comédiens, le suggèrent adroitement : « le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » écrivait Pascal. La mise en scène, remarquablement servie par le travail vidéo de Renaud Rubiano, la scénographie onirique d’Emmanuel Demarcy-Mota et Yves Collet et les fascinantes lumières d’Yves Collet et Christophe Lemaire, l’explicite d’emblée : sapiens n’est pas le seul homo, mais l’évolution le lui a fait oublier. La troupe du Théâtre de la Ville interprète ce conte philosophique sans sombrer dans la leçon de choses ni dans la leçon de morale : au public de juger si c’est un homme et de se déterminer politiquement. C’est peu dire que l’époque réactualise la question et que ce spectacle est à voir et à méditer.
Catherine Robert
Du lundi au samedi à 20h ; le dimanche à 15h. Relâche les 22, 29 mars et les 4, 10, 13, 14 et 15 avril. Tél. : 01 42 74 22 77. Durée : 1h30.
Avec Benjamin Jungers dans le rôle-titre et [...]
Auparavant présenté sous l’intitulé [...]
Les Ouvreurs de Possibles présentent un [...]