Théâtre - Critique

Yaacobi et Leidental

Yaacobi et Leidental - Critique sortie Théâtre


Présentée dans le cadre du Festival Un automne à tisser au théâtre de l’Epée de bois, la pièce d’Hanoch Levin mise en scène par Alain Batis révèle toute la profondeur métaphysique du texte en conjuguant à merveille un comique manifeste et une douleur existentielle poignante. L’équilibre n’était pas facile à inventer, mais le trio d’acteurs – formidables Raphaël Almosni, Jean-Yves Duparc et Emmanuelle Rozès – parvient à trouver le ton juste dans cette comédie humaine délirante où les sentiments demeurent étonnamment vrais. Pas de parodie ici, pas d’affadissement vaudevillesque non plus, derrière chaque éclat de rire, derrière chaque scène, derrière chaque chanson qui la couronne (douze en tout), la tristesse, l’expérience du vide et l’universalité de ces « frères humains » demeurent vivaces. Que faire pour donner un sens à sa vie ? Comment rencontrer celui ou celle qui peut-être vous y aidera ? Le grand auteur israélien Hanoch Levin, dont c’est sans doute l’une des meilleures comédies, n’apporte certes pas de réponses, mais dans un style concis, affûté et caustique souligne au contraire la complexité de la chose, donnant vie à des êtres lancés avec une énergie débordante dans la quête du bonheur mais entravés par les multiples difficultés qui caractérisent la condition humaine, minés par les illusions qui cessent de bercer, les humiliations qui dégradent, les désirs qui s’étiolent, les rêves qui déçoivent, le désoeuvrement qui étire le temps.
 
Les promesses de félicité s’enlisent
 
C’est drôle et désespéré en même temps, comme si l’ami Beckett s’aventurait dans des contrées festives, à la gaieté presque foraine, comme si les personnages, Itamar, David et Ruth, cousins de Willie, Hamm, Vladimir ou Estragon, ici extirpés de leur immobilisme, décidaient de foncer, de se démener comme de beaux diables pour construire quelque chose. Itamar Yaacobi décide de rompre avec son meilleur ami David Leidental, il veut vivre pour lui seul et « le ratatiner ». Il rencontre Ruth Chahach, elle a un « gros popotin » et de « gros seins », des atouts merveilleux pour le séduire. Il l’épouse, et Leidental s’offre lui-même en cadeau de mariage. Une situation extravagante à la limite de l’absurde, où les promesses de félicité s’enlisent dans la torpeur d’un morne quotidien, où l’hystérie des uns ou des autres, éminemment théâtrale, dévoile un mal être angoissant et drôle. La scénographie minimale, où quelques accessoires soulignent le grotesque voire le burlesque, évoque un manège… qui tourne en rond. Essentielle, la musique endiablée aux discrets parfums Klezmer, jouée aussi par un trio – piano, violoncelle et clarinette -, suit avec humour et délectation les protagonistes. Partagés entre une âpre lucidité et une tendresse irréductible, l’auteur comme le metteur en scène savent faire rire et émouvoir, et au passage les acteurs décochent quelques répliques fulgurantes et de haute tenue philosophique…
 
Agnès Santi

Yaacobi et Leidental d’Hanoch Levin, mise en scène Alain Batis dans le cadre du festival Un Automne à tisser du 29 septembre au 18 octobre au Théâtre de l’Epée de Bois. Tél : 01 48 08 39 74. www.epeedebois.com ou sur www.fnac.com

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