Théâtre - Entretien

Wissam Arbache

Wissam Arbache - Critique sortie Théâtre


 

Comment s’est fait le choix de Murale ? 
Wissam Arbache : C’est avec Bernard Noël à Aix-en-Provence que j’ai rencontré Mahmoud Darwich, lors de sa première sortie après une longue maladie en 1998. Il m’a dédicacé Murale, son dernier poème. J’ai aussitôt été frappé par la hauteur poétique du texte. Darwich est un poète palestinien certes, mais il est aussi un grand poète arabe. Murale pose véritablement le poète face à la mort. À l’origine, Darwich, opéré du cœur, a connu un coma thérapeutique l’installant quelque temps entre la vie et la mort. Sur son lit d’hôpital, presque son lit de mort, il écrit un poème sur sa relation à la rupture vitale. Non pas la position d’un être confronté à la mort, mais celle d’un poète, ce qui est troublant d’autant que le malade était persuadé ne plus pouvoir écrire. La langue s’impose au poète et non plus à l’être seul. Un ton proche de La divine Comédie de Dante.

Que découvre le poète dans cette expérience ultime ?
W. A. : Il découvre qu’il peut dire « un jour, je saurai ce que je veux » : le simple fait de formuler cette phrase permet à l’écrivain d’avancer. Quand il rencontre la mort, il n’engage pas de combat, il la séduit grâce à son verbe sensuel, ce qui ne signifie pas qu’il la vainc. Il la déguise en muse pour qu’elle chante avec lui. Le tour de force poétique, c’est que Darwich introduit dans Murale les formes littéraires les plus complexes tout en offrant l’évidence d’une simple lecture. Les formes antéislamiques et complexes de la poésie arabe ont toujours frayé avec l’œuvre de Darwich. D’un côté, un verbe et des sensations que tous les Arabes peuvent comprendre, et de l’autre, la présence de ces formes perdues qui viennent de très loin.

« Quand il rencontre la mort, il n’engage pas de combat, il la séduit grâce à son verbe sensuel, ce qui ne signifie pas qu’il la vainc. »

L’arabe littéraire est en fait l’arabe du Coran.
W. A. : Le Coran fixe les règles grammaticales de l’arabe, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il n’a fait que poser la pierre finale. Dans ce monde nomade antéislamique qui correspond à la poésie de Darwich, chaque tribu avait son poète, et dès qu’un problème surgissait entre tribus, on ne faisait appel ni à la justice ni à la guerre mais plutôt à l’ambassade d’un poète qui s’essayait à une joute verbale. Le poète qui revenait perdant était la honte de sa tribu. Une poésie de combat, un verbe combatif, ce dont se réclame Darwich face à la mort dans Murale.

Quel est l’heureux élu qui portera ce verbe sur le plateau ?
W. A. : Je donne ces mots à un acteur que j’apprécie particulièrement, Jean-Damien Barbin, capable d’apporter le lyrisme, le quotidien et le corps sous-jacent au poème. Dans le grain de sa voix, on perçoit un mystère capable de préserver ce trouble que suscitent les mots. À côté de l’actrice qui incarne la mort devenue muse, un saxophoniste baryton. La scénographie est simple : une chambre d’hôpital, un univers qui raconte l’enfermement et aussi, l’ouverture, un magicien apportant ses lumières pour un ou deux tours d’illusion, et des effets d’images et de miroirs. Il est peut-être temps de mourir, dit le poète, et je vais le chanter. Le poète pensait perdre son identité, il reconquiert son nom dans le voyage.

Propos recueillis par Véronique Hotte


Murale, mise en scène de Wissam Arbache du 10 octobre au 4 novembre à la Maison de la Poésie. Rens : 0144545300.

www.maisondelapoesieparis.com

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