Théâtre - Critique

Vues Lumière d’Isabelle Lafon

Vues Lumière d’Isabelle Lafon - Critique sortie Théâtre Paris La Colline - Théâtre national


Conception et mes Isabelle Lafon

Avec sa voix puissante mais traversée par un léger tremblement, avec ses petits silences qui freinent ses envolées et ses gestes dont on sent qu’ils pourraient être amples, assurés, si une inquiétude ne les retenait, Isabelle Lafon place d’emblée Vues Lumière dans la continuité du travail qu’elle mène depuis 2002 avec sa compagnie Les Merveilleuses. Dès qu’elle se détache de la ligne formée par ses comédiens pour s’adresser à une directrice de centre social comme à un Dieu auquel on ne croit qu’en dernier recours, on reconnaît l’urgence qui caractérise son travail. La résistance, que ce soit à un contexte politique précis ou à une doxa, une façon de penser. C’est d’ailleurs la première fois qu’elle formule cette nécessité de manière aussi explicite. Forte de son triptyque Les Insoumises (2016), consacré aux luttes poétiques d’Anna Akhmatova, de Virginia Woolf et de Monique Wittig, de sa Mouette (2018) et de son Bérénice (2019), Isabelle Lafon ose pour la première fois créer sans partir d’un texte préalable. Avec ses quatre interprètes, elle signe une pièce ancrée dans le présent. Une fiction née d’improvisations collectives, qui a pour sujet central la construction d’un groupe de pensée. La naissance, dans un centre social, d’un « Atelier sans animateur, un atelier pour s’instruire, pour apprendre » dédié au cinéma. Vues Lumière est une utopie minuscule. C’est un appel à repenser la place de l’art, à mesurer son champ de possibles à l’aune de l’époque.

Une utopie minuscule

Depuis les premières réunions de la mécanicienne Fonfon (Isabelle Lafon), de l’ouvrière paysagiste Georges (Johanna Korthals Altes, fidèle collaboratrice de la metteure en scène), de Martin (Pierre-Félix Gravière) qui est veilleur de nuit, de l’assistante maternelle Shali (Karyll Elgrichi) et d’Esther, employée à La Poste (Judith Périllat), c’est toute une aventure intellectuelle qui nous est donnée à suivre. Avec ses enthousiasmes et ses doutes. Avec ses conséquences affectives aussi, car comme les premiers films des frères Lumière – des plans fixes de 57 secondes –, la pièce pose la question du hors-champ. Elle interroge aussi bien les moteurs du projet que son impact, différents pour chaque membre du groupe. En donnant vie à des personnages pour qui l’accès à l’art et à la culture est une lutte, le fruit d’une revendication, la compagnie Les Merveilleuses questionne sans avoir besoin de le formuler l’état de nos institutions culturelles. À l’échelle de cinq protagonistes dont on découvre, au fil de discussions de plus en plus pointues sur le 7ème art, quelques bribes d’intimité, Vues Lumière pose la nécessité d’inventer de nouveaux cadres pour la pensée et pour la création. Des cadres qui ne soient pas hiérarchiques. Qui soient assez larges pour accueillir des êtres en mouvement, intranquilles. À l’image d’Isabelle Lafon, dont le goût pour les paroles libres, combatives, s’exprime à travers des récits et des formes diverses mais toujours porteuses des doutes qui les ont fait naître.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement


Vues Lumière d'Isabelle Lafon
du vendredi 10 mai 2019 au mercredi 5 juin 2019
La Colline - Théâtre national
15 rue Malte Brun, 75020 Paris.

du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h. Tel : 01 44 62 52 52.


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