Théâtre - Critique

« Vania ! » mis en scène par Gilles Bouillon : un spectacle intense, alerte et beau

« Vania ! » mis en scène par Gilles Bouillon : un spectacle intense, alerte et beau - Critique sortie Théâtre CHATILLON Théâtre de Châtillon


Théâtre de Châtillon et tournée / d’après Tchekhov / mise en scène de Gilles Bouillon

Fidélité et renouveau : le spectacle de Gilles Bouillon tire sa force de ces deux valeurs. Le metteur en scène reste dans le droit fil de son projet artistique sans cesse revisité : rendre clairs les textes qu’il choisit et immédiatement intelligibles leurs enjeux existentiels et philosophiques. Gilles Bouillon reste aussi loyal à ses compagnons de création, dont le dramaturge Bernard Pico, avec qui il a imaginé une version allégée de la pièce de Tchekhov, osant faire disparaître Sérébriakov. Toute la pièce tourne autour des caprices, des insomnies et des crises d’hypocondrie du professeur ingrat ; toute la vie de Vania et de Sonia a tourné autour de son entretien et de sa gloire ; toutes les allées et venues sont pour le rejoindre ou pour le fuir et pourtant, dans cette version, il n’apparaît pas ; il est comme l’œil au centre du cyclone. La scène a des allures de trou noir né de l’effondrement d’une étoile : tout ce qui gravite autour de l’absent est en déséquilibre. Restent Elena (Nine de Montal), Sonia (Sumaya Al-Atia), Astrov (Olivier Augrond), Téléguine (Philippe Dusseau) et Vania. Ce dernier est interprété par le génial Christophe Brault, qui campe un misanthrope bougon et bouleversant, séduisant et fragile, cabotin et hilarant. Il faut un rien à ce comédien d’exception pour faire apparaître toute la complexité de son personnage : un geste d’amour dérisoire, une colère éruptive, un ronflement, un bouquet maladroit et touchant. Christophe Brault offre une quintessence de ce théâtre à l’unisson de la vie, où « tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, le sublime et le ridicule », comme disait Tchekhov.

Un théâtre obstinément humain

Le reste de la distribution est à même hauteur de justesse et de vérité. Nine de Montal incarne une Elena tout en contrastes, fidèle par amour plutôt que par devoir et infiniment plus sympathique que ce que le calcul égoïste attache habituellement à ce rôle. Sumaya Al-Atia irradie en Sonia, belle comme une Marthe sacrifiée qu’Astrov, tel le Christ, ne sait pas regarder. Profonde et intense, Sumaya Al-Atia est magnifiquement touchante. Olivier Augrond, en séducteur sautillant et homme des bois au cœur de pierre, est excellent, comme l’est Philippe Dusseau, en coucou benoîtement installé dans ce nid que réchauffent la vodka et l’amitié de tous ces toqués lumineux. La scénographie, conçue pour s’adapter aux lieux non-théâtraux où la pièce a déjà été accueillie lors de ses périples à travers le Gers, est économe et simple. Quelques tapis et quelques meubles, un samovar et un fusil, pour que Vania rate le professeur comme il a raté sa vie, une étole pour réchauffer le cœur cabossé de Sonia, quelques lumières : les « parerga et paralipomena » de l’existence dirait Vania, qui, s’il n’avait pas été intendant, aurait été Schopenhauer ! Ces quelques accessoires suggèrent l’ambiance de cette maison, où chahutent passions joyeuses et passions tristes et que peuplent des personnages confondant d’humanité. Fidèle à l’esprit plutôt qu’à la lettre, puisqu’il aménage le texte, Gilles Bouillon en propose une lecture renouvelée, intense et simple, fiévreuse et évidente. Les artistes réunis dans ce projet offrent un spectacle limpide, alerte et beau. Pour son étape francilienne, il est au Théâtre de Châtillon, où Christian Lalos, un des rares directeurs de théâtre qui lient fidélité et renouveau, les accueille, avec son élégante générosité.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Vania !
du vendredi 2 février 2024 au dimanche 4 février 2024
Théâtre de Châtillon
3, rue Sadi-Carnot, 92320 Châtillon

Vendredi à 20h30, samedi à 18h et dimanche à 17h. Tournée jusqu’à fin août (site : www.compagniegbouillon.fr). Tél. : 01 55 48 06 90. Durée : 1h40.


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